Habiter Le travail chez soi, à la recherche du temps gagné
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Le travail chez soi, à la recherche du temps gagné

Intervention de Tanguy Dufournet, sociologue et chercheur associé Leroy Merlin Source à la conférence IAPS en Juin 2020


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Tanguy Dufournet, sociologue et chercheur associé Leroy Merlin Source, rend compte des principaux enseignements de la première partie du chantier de recherche « L’essor multi-situé du « Travail chez Soi » » à la lumière des effets du confinement et de l’expérience massive du Travail chez Soi durant les mois de mars à mai 2020.

Depuis 2016, au côté de Leroy Merlin Source, l’équipe de recherche, composée de Djaouidah SEHILI, Tanguy DUFOURNET, Patrick ROZENBLATT et Sandra VILLET (dessinatrice-designeuse), étudie l’essor multi-situé du « Travail chez Soi ». Il est une forme hybride de travail multi-situé. Il rompt avec celles dites traditionnelles pensées sur le schéma de l’usine et de l’entreprise. Le « Travail chez soi » s’inspire du travail nomade, du digital work, du travail en co-working, etc. Il s’inscrit dans une dynamique globale des mutations du travail et pose de nouveaux enjeux en termes de sociabilité et d’affectivité spatio-temporels.

Un rapport au temps et aux rythmes de vie

Dans le cadre de l’intervention à l’IAPS, l’équipe de sociologues s’est particulièrement intéressée au rapport au temps (Lefebvre, 2019). Du fait de l’utilisation des nouvelles technologies et de nouvelles méthodes de gestion du personnel, la subordination du travailleur et de la travailleuse ne s’arrête plus à son lieu de travail mais s’étend aussi à son domicile (Tremblay, 2001 ; Tremblay, Chevrier et Loreto, 2006). Dans ce cadre, la mise à disposition tant physique qu’intellectuelle des individus n’aurait alors plus de limites temporelles et spatiales.

Or, considérant que l’espace et le temps sont des produits sociaux (Hall, 2019), il convient de reconnaître que les rythmes (Claire Revol, 2014 ; Lefebvre, 2019) sont porteurs de sens. Les rythmes court/rapide ou long/lent se manifestent dans les répétitions et les ruptures, la synchronicité et la désynchronie. Si l’harmonie des rythmes traduisant notre appropriation du rapport aux espaces et aux temps témoigne de sa jouissance ou de son aliénation au travail chez soi (Naville, 1967), la rythmique donne aussi des indices quant aux statuts (Séhili, Rozenblatt et Auriel, 2004) et aux rapports de domination qui structurent et s’exercent au sein même de ces divers espaces et temporalités.

Les analyses et observations de la quotidienneté à l’aune du rapport au temps dans les usages de l’habitat et du travail permettent de rendre compte de la diversité de ces rapports de dominations (statut, logique productive, etc.) et de la manière dont ils s’incarnent. Autrement dit, le « Travail chez Soi » révèle des stratégies subtiles et multiples dans la manière de contourner et remettre fondamentalement en cause les rythmes sociaux dits traditionnels de séparation entre professionnel et vie privée, mais aussi entre le légal et l’illégal, le local et le mondial ou entre travail et non-travail. L’équipe a présenté ces mutations de l’habitat et du travail à l’aune des rythmes et des temps sociaux, tout en tentant de montrer comment elles impactaient les bailleurs sociaux, et plus généralement les politiques publiques, en matière de logements et dans leur compréhension du travail.

Méthodologie 

De 2015 à 2020, l’équipe mène une étude longitudinale associant des phases d’enquêtes qualitatives et quantitatives, et d’observation au domicile des interviewés incluant l’utilisation du dessin et de la vidéo. Cette méthode mixte et innovante de recherche a pour objectif de s’adapter aux exigences posées par un terrain d’investigation empirique situé au croisement de la sociologie de l’habitat et de la sociologie du travail.

La posture choisie est celle d’une approche compréhensive s’attachant à rendre compte des pratiques et des usages de l’habitat et du chez-soi à l’aune des contraintes posées par l’intrusion du travail. C’est pourquoi, plusieurs phases d’entretiens de type semi-directif ont été menées à différentes périodes (incluant la période du confinement de mars à mai 2020) auprès de plus d’une trentaine de configurations représentatives du Travail Chez soi.

Aussi, cette approche compréhensive a-t-elle été articulée à deux autres dispositifs méthodologiques empruntant, pour l’un, les outils de la sociologie visuelle (dessins/films/photographie) et, pour l’autre, à la statistique. Sur la période 2015/2020, deux questionnaires statistiques ont ainsi été administrés.

Présentation en anglais

 

Traduction en français de l’intervention de Tanguy Dufournet

 

Bonjour à tou.te.s,

Merci aux organisateurs de nous avoir permis de participer à ce colloque en présentant des résultats issus de notre recherche portant sur « L’essor du Travail chez Soi et les modalités spécifiques d’organisation du travail “multi-situé ».

Cette recherche a été rendue possible par le soutien de LEROY MERLIN Source qui nous accompagne depuis 2016 dans cette aventure, aussi bien matériellement que par des échanges toujours enrichissants.

Le confinement comme expérience de l’essor du Travail chez Soi

Dans le contexte actuel de crise sanitaire mondiale et du confinement des populations dans le cadre de la lutte contre le COVID19, les hypothèses de notre étude ont été pour l’ensemble validées. En effet, nous avions constaté un essor du Travail chez Soi. Le choix politique de privilégier au maximum le télétravail n’a fait que le confirmer. Si la mise en place du télétravail a été rendu possible à une telle échelle c’est précisément parce que les structures rendant viable cette solution lui ont préexisté. En somme, le télétravail en période de confinement confirme la tendance lourde de son essor induit par les mutations du travail.

Nous avions pu en rendre compte précédemment, par une enquête statistique menée en partenariat avec Alliade Habitat, bailleur social, et Bouygues Immobilier, promoteur immobilier :

  • Pour 20 % des répondants, le « Travail chez Soi » est une notion ambiguë et mal appréhendée. Autrement dit, pour 80 %, cette notion parle !
  • 12% des personnes qui disent ne pas travailler chez elles rapportent quand même ponctuellement du travail chez elles.
  • Nombre de jour/semaine : 17% d’entre elles 1 à 2 fois par semaine, 11% tous les jours.
  • Nombre d’heures par jour : 4% d’entre elles travaillent plus de 8h par jour lorsqu’elles sont chez elles, 11% entre 2h et 3h par jour, 10% entre 1h et 2h par jour, 7% moins d’une heure.
  • Moment de la journée : 16% des personnes travaillent entre 13h et 16h, 16% entre 20h et 22h, 7% après 22h, 4% entre 5h et 8h, 13% entre 8h et 11h.
  • 14% d’entre elles travaillent dans des espaces de co-working et hors de chez elles. Les répondant.e.s aimeraient majoritairement disposer d’un tel espace dans leur habitation, bien qu’elles en reconnaissent aussi les désavantages.

Nous arrivons donc progressivement à une société où le travail sera véritablement multi-situé et ne se limitera pas à « deux bureaux ». L’évolution des organisations de travail impacte bien évidemment les systèmes et  les conditions d’emploi. De nouvelles formes particulières sont apparues. Également dites atypiques, du fait qu’elles se distinguent du modèle dominant des années 50 à 70, ces formes instables d’emploi redéfinissent fondamentalement les collectifs de travail, jusqu’alors principalement fondés sur les métiers et les professions, et spatialement situés dans un même espace de travail. Ce qui n’est plus tout à fait le cas aujourd’hui.

Du fait de ces mutations de natures diverses qui en rendent possible l’exercice et l’effectivité pour des catégories très diversifiées de populations, et plus spécifiquement encore du fait de l’essor du numérique, il est réapparu une forme d’emploi particulière. Il s’agit du « Travail chez Soi » qui est tendanciellement en augmentation. Et en réalité, nous sommes toutes et tous concernés… faut-il encore le dire ? Tout comme le travail, l’emploi (du plus stable au plus précaire) est désormais multi-situé et touche toutes les strates de la société jusqu’à l’intérieur du domicile des individus. La frontière entre ce que l’on appelle encore communément en sociologie la sphère productive et la sphère reproductive se trouve ici véritablement dématérialisée.

En somme, le Travail chez Soi est au cœur d’une série de problématiques qui mobilisent une pluralité de figures qui réinterrogent les enjeux de coopération, reconnaissance, d’isolement et/ou de mise en concurrence. Les injonctions à la productivité et la performance qui ne sont pas sans conséquence sur les éléments constitutifs de l’habiter (l’imaginaire, le sensible et l’affectif), en viennent à investir progressivement le domicile d’une « dimension travail », non sans conflit(s) ni négociation(s). Ces configurations, où s’articulent vie familiale et vie professionnelle, réinterrogent les processus de socialisation et de création des identités professionnelle et personnelle. Et les conditions spatiales et les enjeux de sociabilité et d’affectivité qui en résultent sont loin d’être connus dans leurs conséquences, et encore moins maîtrisés.

 

Le Travail chez Soi c’est le bien-être, vraiment ?

Les interviewés expriment tous un « bien-être » mais après quand ils y réfléchissent… Ils peuvent se demander si c’est un vrai choix ? Qu’est-ce que ça apporte comme liberté ? Marge de manœuvre ? Remise en question des collectifs de solidarité ? de sociabilité ?

En fait, ce qu’ils perçoivent c’est que le temps de l’urgence professionnelle organise toutes leurs postures sociales. Comme si plusieurs figures et rôles sociaux se chevauchaient sans frontières clairement délimitées.

C’est pourquoi, notre intervention présentera les résultats de la deuxième partie actuellement en cours de notre recherche sur le Travail chez Soi. Celle-ci est spécifiquement menée par une équipe de trois chercheurs en sociologie du travail, Centre Max Weber, et une dessinatrice-designeuse, Sandra Villet.

 

  • Rapport au temps, conflictualité et continuité

Il est 7h50 quand Pathana se lève. Le temps de se faire un café, toujours en pyjama, et il est déjà au travail, à trois pas de son lit – il a compté. Cette scène de vie est son quotidien comme elle l’est pour plusieurs dizaines milliers de personnes en France.

Majoritairement choisie, cette situation, est rendue possible par « une société qui s’automatise » toujours davantage. Sur le modèle de l’horloge, les sociétés se construisent de plus en plus selon les impératifs de l’immédiateté et des temps discontinus. Réalité que le son des notifications sur nos ordinateurs et smartphones ne cessent de nous rappeler.

Il y a toujours un impact sur le temps de la « famille ». C’est celui ou celle qui travaille à la maison qui impose le rythme aux autres. Ou qui s’impose à soi-même ses propres rythmes de travail avant le reste. Ce qui peut rendre plus conflictuelles les cohabitations et/ou sociabilités, de fait bousculées et/ou transformées :

Compartimenter ses différents temps ? : « Ce qui n’est pas évident, j’ai vu différents journalistes indépendants à Paris qui ne font pas trop la part des choses et pour qui justement la vie professionnelle, c’est la vie tout court ! Ce n’est pas la vie privée qui a pris le pas sur la vie professionnelle, mais après il y a l’image du métier-passion, tout ça, puis après ce sont des personnes qui sont ambitieuses et qui ont réussi, c’est vraiment des personnes pour qui des collègues, la vie pro, c’est la vie tout court. Et puis, les gens que tu fréquentes, ce n’est pas des amis, c’est des sources potentielles, enfin… ils le diront pas comme ça, mais il faut faire attention à ne pas rentrer dans ce biais-là non plus. C’est le risque avec un métier ou tu peux tout professionnaliser. »

Mais malgré tout, la maison continue de vivre : lessive, rangement etc. Quand on travaille à la maison, on s’oblige à continuer à la faire vivre.

Tout cela exige également une discipline à acquérir plus ou moins laborieusement. C’est un apprentissage difficile que d’apprendre à travailler chez soi en structurant ses temps sociaux :

Rythmer ses horaires ? : Je n’ai pas… mon rythme. Et du coup, comme je suis à la maison, que j’ai personne, tu vois, enfin… si… des fois, j’ai un ami qui vient travailler aussi ici parce que le cadre est plus agréable, donc j’ai un ami qui vient travailler là, et ben… c’est très simple : ou à deux on arrive pas à travailler ou alors on travaille bien. Tu vois… enfin…(…) …Ça dépend des dead line…(…)…Bah oui… oui, oui, j’ai du mal à… Un cadre qui favorise le travail ?… (…)…c’est d’avoir autour de soi des gens qui travaillent.

En fait, il y a toujours une période de tâtonnement relativement importante avant de parvenir au bon rapport à l’espace + au bon rapport aux temps sociaux + à la nécessité d’apprendre à habiter / à organiser, er reconfigurer en permanence son activité professionnelle :

Trouver ses marques ? : « Oui, je crois ou peut-être en mars, ça faisait à peine un mois que je bossais là-dedans et j’avais vraiment du mal à prendre mes marques. Quand on n’a jamais fait ça, je pense que la première fois on se dit ok je bosse je suis en pyjama très bien, je pourrai bosser toute la journée en pyjama ça pourrait le faire, c’est vraiment bizarre. Quand on a l’habitude du métro-boulot-dodo, ça n’a rien à voir. »

Il faut vivre l’expérience pour pouvoir s’adapter. Il n’y a donc pas un modèle unique que l’on puisse adapter comme un guide de bonnes pratiques. Ce qui rend quasiment impossible l’anticipation…

 

Rapport à l’espace et conflictualité 

En fait, le Travail chez Soi n’est pas une évidence et relève, bien au contraire, du conflit permanent et de la dualité entre l’idée du repos, de l’intimité, de la jouissance liée au chez soi et l’idée de l’intrusion liée au travail, notamment par le numérique/la connexion.

On voit ainsi se restreindre l’espace approprié par la vie individuelle et collective. Comme si le chez-soi se rétrécissait. L’empreinte de la production domine et cette intrusion professionnelle brise l’unicité d’usage des lieux les plus intimes jusqu’aux confins de la chambre qui cède donc même à la pression pour certains. Ce qui pose la question (qui revient quasi toujours) de la nécessité contemporaine de penser une pièce dédiée au travail dans le domicile.

Et ça, c’est particulièrement nouveau. Pour en avoir parler avec les bailleurs sociaux qui nous ont ouverts nos terrains de recherche, cet enjeu de « pièce dédiée au travail » apparaît comme un « défi pour demain ». Comment la penser (dans le domicile ? dans les parties communes ?) ? Comment l’évaluer : comme un coût exorbitant/inutile, ou au contraire comme un coût nécessaire pour s’adapter aux évolutions de l’habitat ?

Le lien avec l’extérieur/ le monde est questionné notamment dans ses relations aux autres :

Positivement : « Oui, clairement oui, ça m’a permis de mieux organiser, ça m’a permis de mieux organiser, disons qu’on va prendre l’exemple quand tu es au bureau dans un open-space ou quoique ce soit et que tu as vraiment ta tâche à faire, et qu’il y a les collègues autour, ou une interruption quoique ce soit, on te flique ton internet, tu ne peux pas avoir youtube, tu ne peux pas avoir telle musique, t’es à fond au boulot donc au final quand on te propose un plan le soir, tu réagis à la dernière minute quand tu n’es pas plus en horaires de boulot, moi concrètement tout ça je peux l’organiser tout le long de la journée, donc ça me permet d’être réactif autant avec mes connaissances personnelles qu’avec mes clients, quand on me propose un truc, je peux dire oui banko ce soir je suis prêt. Donc, on peut se voir des fois, il suffit de ne pas avoir cette com’ là avec tes proches et tu peux manquer une soirée ou quoique ce soit, ça arrive parce que tu n’as pas pu leur donner une réponse assez tôt ou… puis il y a aussi le temps de trajet, y’a des fois, tu as une heure pour rentrer chez toi du boulot, tu n’as peut-être pas envie de rentrer chez toi après j’ai passé la journée chez moi, donc « oui les gars je suis prêt à sortir de chez moi, il n’y a pas de problème on peut se voir, c’est même un plaisir de vous voir les gars en fin de journée ». C’est ma fin, c’est ma vraie fin de boulot, c’est quand j’ai un ami qui débarque avec une bouteille et je voulais qu’on se fasse une fin de journée comme ça. »

Négativement : « Euh… ben mes parents quand j’étais dans le sud, même moi j’en ai un peu souffert, mais c’est vrai que comme je n’ai pas de collègues, ben on s’isole plus facilement et on est qu’avec des clients en plus, donc c’est encore pire… parce que les clients ce n’est pas des amis. Ouais, mes parents se faisaient du souci dans mon ancien boulot parce que je n’arrivais pas trop à rencontrer de nouveaux gens. Donc, soit dans la vie perso, on fait un effort pour s’inscrire à la salle de sport et tout… mais comme il y avait les déplacements en parallèle c’est vraiment très dur de trouver l’équilibre et je pense que pour être en Home Office, il faut quand même être dans une ville où on connaît des gens, parce que le soir on a pas envie de rester dans l’appart. Ça c’est une… je pense que la plus grosse contrainte du Home Office, c’est ça. Il n’y a pas les collègues….Donc pas de relations interindividuelles ?… Ben on se parle sur le link mais ce n’est pas pareil. »

Pour sortir d’un certain isolement ou encore (et étrangement) parfois aussi de l’envahissement de la « vie familiale », de nouvelles questions se posent : qui vais-je voir ? Quand puis-je sortir ? Avec qui ? Où est-ce que je sors pour rompre justement cet isolement et rechercher un autre collectif ?

Espace devenu productif (de travail), finalement, l’habitat peut toutefois devenir un « abîme » en termes d’identification sociale. La dimension de réassurance et compensatoire du logement est remise en question. L’habitat n’est plus forcément un lieu de repos, protection, réassurance, etc.

Paradoxalement, on peut aller trouver de l’intimité ailleurs que chez soi pour rechercher d’autres espaces de convivialité (pour faire des pauses, respirer, se socialiser) ou d’autres espaces d’échanges plus professionnels comme les espaces de coworking. Ce qui complexifie encore plus le concept de nomadisme.

Un an après la publication du rapport établit en 2015 par Bruno Metling, dirigeant d’Orange, le gouvernement de Manuel Valls, via son ministre du Travail, a commandé une mission d’enquête sur les enjeux des « transformations du numérique et de la vie au travail ».

 

En conclusion, travailler chez soi : une aliénation heureuse

La représentation de soi est donc troublée par les liens paradoxaux tissés entre liberté, bien-être et asservissement. Les légitimités professionnelles et sociales sont questionnées et sont généralement affaiblies.

Dans le cadre de cette recherche en deux parties, la plupart des personnes interrogées ont d’abord exprimé unanimement un réel « bien-être » à travailler dans leur intimité. Mais, par ailleurs, elles percevaient aussi que c’est le temps de l’urgence professionnelle organise finalement toutes leurs postures sociales. Comme si plusieurs figures et rôles sociaux se chevauchaient sans frontières clairement délimitées. Nous parlons de bonheur dans l’aliénation ou d’une aliénation heureuse. Aliénation, ici entendue comme dépossession de l’individu.e., au sens d’une perte de maîtrise au profit d’un.e autre (individu.e, collectif virtuel, réseau, entreprise, etc.). Ce qui peut renvoyer à une inauthenticité de l’existence vécue par l’individu.e aliéné.e.

Ne peut-on pas alors faire l’hypothèse que les objectifs d’organisation du travail en mission, induisant une mobilisation 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, amèneront à produire une déstructuration des représentations des espaces sacrés, des temps et des rythmes communs en imposant aux autres de vivre avec et de s’y soumettre ?

Aujourd’hui déjà nous pouvons observer des logements investis par des colocations de « travailleurs et travailleuses du chez soi » et des bailleurs sociaux s’interroger sur la mise en place d’espaces de co-working au pied de leurs immeubles. Si une telle logique en vient à s’imposer durablement dans l’ordre productif et reproductif, elle va circonvenir toutes les représentations encore actuelles sur l’intimité propre à l’habitat et aux façons d’habiter. Une forme originale brouillant les frontières sensibles entre impératif du travail et intimité du « chez soi » n’aura plus alors qu’à construire le cadre juridique de sa légitimité donnant la primauté au travail sur tout autre rapport social !

 

 

Jaufret Barrot, architecte et chercheur associé de Leroy Merlin Source a également participé à cette conférence en présentant les résultats de la recherche « Habiter la mobilité ».

 

 

 

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