Une discipline de recherche à part entière
Dans cet entretien, Hortense Soichet, photographe et chercheure, répond aux questions de Pascal Dreyer sur l’apport de la photographie à la recherche habitat. Mettant au service des chantiers de Leroy Merlin Source son œil et des modalités d’enquête éprouvées depuis 2009 dans de nombreux projets, Hortense Soichet crée des images qui sont autant de constats et de résultats construits avec les chercheurs avec qui elle collabore. Des espaces intermédiaires au pavillonnaire urbain en passant par l’absence de chez soi, les images d’Hortense Soichet révèlent, interprètent et communiquent au spectateur les significations toujours ouvertes de nos univers domestiques.
Hortense Soichet, existe-t-il selon vous une photographie de recherche ?
Je n’aime pas ce terme parce que je ne pense pas qu’il y ait une spécificité de la photographie de recherche. Je n’ai pas non plus l’impression qu’il y ait une écriture ou une esthétique photographique spécifique à la recherche. Tout simplement parce que les photographies réalisées et mobilisées dans le cadre ne diffèrent pas formellement d’autres types de photographies. Je parle ici de la photographie contemporaine, fruit d’une création et non pas de la photographie appliquée ou produite par un·e artisan. Mais sur cet horizon, il importe de souligner que la place de la photographie en recherche reste une place à conquérir. Elle a toujours un statut d’illustration et est rarement considérée comme une discipline.
J’ambitionne donc de créer des liens entre la recherche et la photographie. Sa spécificité sera peut-être mieux comprise si l’on réfléchit à ce qu’elle peut apporter. Cela suppose de travailler à deux niveaux au moins : quelle va être la contribution de la photographie au traitement de la recherche ? Quelle va être sa place et celle du photographe dans l’ensemble du processus d’élaboration et de réalisation de la recherche, en y incluant la relation avec les enquêtés ?
Vous travaillez depuis longtemps sur l’habiter. La plupart de vos travaux donnent à voir des lieux de vie sans présence des habitants. Pourquoi ?
Je ne suis pas dans l’obligation de faire figurer les individus dans les images de leur logement puisque ce dernier parle d’eux. Mon travail d’enquête qui, en termes de méthode, est assez similaire à celui des sciences humaines et sociales, s’en détache toutefois dans l’intérêt que je porte à ce qui me semble pertinent pour traiter le sujet et la manière dont je veux le montrer. Je ne me sens pas tenue non plus à une forme d’exhaustivité, exigence très présente dans les sciences sociales et humaines. Ainsi, lorsque j’ai photographié des logements sociaux, les seules informations non photographiques restituées étaient des extraits de récits des habitants qui pouvaient très bien faire le choix de ne pas me dire d’où ils venaient. Un.e sociologue aurait eu besoin de cette information. Il m’intéresse davantage de mettre en rapport l’image avec ce que dit seulement la personne rencontrée.
Ce parti pris de rendre compte d’un mode d’habiter sans la présence physique de l’habitant me permet aussi de mieux mettre en avant ce que je veux montrer : un aménagement, un espace domestique, une culture matérielle. À partir du moment où une personne figure dans une image, elle manifeste quelque chose de son interaction avec l’espace. Les interactions avec l’espace sont intéressantes à explorer mais constituent un autre sujet. Sans la personne, l’image montre davantage et le spectateur a la possibilité de naviguer et de s’imaginer éventuellement dedans. Dans ce sens, la photographie ouvre vraiment à un imaginaire de l’autre et de soi.
Que vous apporte votre pratique de l’image dans un monde où chacun produit chaque jour au moins une image qui circule ensuite sur les réseaux sociaux ?
Je fais la part des choses. Nous évoluons dans un univers d’images, où nous sommes pris dans des flux d’images, par le biais évidemment des smartphones ou de tout ce qui nous entoure. Il n’en reste pas moins qu’il existe des registres d’images qui appartiennent à des univers au sein desquels nous pénétrons plus ou moins en fonction de nos pratiques. Quelles relations voulons-nous entretenir avec ces images et ces univers ? Quelles interactions avons-nous avec eux ? Jusqu’à quel point sommes-nous absorbés ou influencés par eux ? J’ai le sentiment que lorsque nous avons une pratique de l’image, et que nous nous inscrivons dans un milieu qui lui est propre, nous pouvons établir un rapport privilégié avec d’autres régimes d’images. Et ce rapport peut nous protéger ou nous aider à nous distancier de ces autres univers qui sont plus « polluants » ou avec lesquels nous allons interagir différemment.
Docteure en esthétique, enseignante et chercheure, artiste intervenante, Hortense Soichet est une artiste passionnée de photographie dont les thèmes de prédilection de recherche sont l’habitat, les manières d’habiter et les habitants.