Politiques publiques et innovations sociales
Cette cinquième contribution de Camille Picard vient clore une série de publications sur l’habitat au Japon : la flexibilité des logements japonais, l’adaptation de la salle de bains nippone au vieillissement, les transformations de la cuisine japonaise depuis 1945 et les pratiques de bricolage dans les logements de l’archipel. Cette contribution « Vieillir chez soi au Japon. Politiques publiques et innovations sociales » synthétise les enseignements de la thèse de la chercheuse menée avec le soutien de Leroy Merlin Source. Le but de cette contribution ? Révéler, à partir de l’exemple japonais, comment les politiques publiques peuvent favoriser la création d’initiatives territorialisées adaptables et favorables au soutien des personnes âgées au sein de leur quartier de vie.
France-Japon : l’habitat face aux même enjeux du vieillissement
Le Japon est le pays avec le taux de vieillissement le plus important du monde. La France, qui voit encore croître sa population, connaît un phénomène similaire. Dans ce processus de vieillissement de la population, la problématique de l’habitat est centrale. En partant de la priorité donné, dans les deux pays, au « maintien à domicile », la recherche a visé à comprendre quels sont les modèles de politiques publiques développés au Japon pour répondre à cet impératif. Pour, en contrepoint, mieux analyser celles menées en France.
Pourquoi s’intéresser à la question du vieillissement ?
Le vieillissement de la population, le maintien à domicile et les politiques publiques en faveur des personnes âgées ont donné lieu à de nombreuses recherches tant en France qu’au Japon. Pourtant, malgré des décennies de travaux, dont beaucoup partagent des idées similaires, il semble encore nécessaire d’y porter attention. En effet, le vieillissement de la population est encore perçu le plus souvent comme une charge économique. Ou, à l’inverse, comme une opportunité pour créer de l’emploi. Les questions de fond, à savoir l’attention portée aux personnes âgées, la place qui leur est attribuée dans la société et le respect de leurs choix de vie, sont placés au second plan et laissés aux initiatives associatives ou aux recherches universitaires.
France-Japon : décentrer le regard pour mieux comprendre les enjeux du vieillissement sur l’habitat
L’étude des choix politiques, sociaux et culturels du Japon offre l’opportunité de porter un regard différent, voire nouveau, sur ces enjeux. En évitant le risque d’une fascination excessive pour le Japon, Camille Picard décentre notre regard pour faire apparaître plus clairement les enjeux d’une question majeure pour l’avenir de nos sociétés. Ainsi elle a traduit et analysé les importantes ressources offertes par les politiques publiques japonaises en faveur du vieillissement. Elle a aussi mené, en 2019 et 2020, des enquêtes de terrains auprès de personnes âgées et d’acteurs gouvernementaux, sociaux et associatifs.
Analyser l’impact des politiques publiques autour du vieillissement
À partir de ce travail de terrain Camille Picard a construit une série d’études de cas. Leur objectif ? Apporter des réponses à ces questions :
- Comment les politiques nationales se déclinent concrètement sur le terrain ?
- Quels acteurs s’en saisissent et pourquoi ?
- Comment les personnes âgées y trouvent leur place ?
- Quelles réponses apportent ces « innovations sociales » au vieillissement dans son quartier et chez soi ? Et notamment en termes d’autonomie et de bien-être pour les personnes âgées vivant chez elles ?
L’échelle locale de ces études de cas dans les arrondissements de Bunkyō et d’Adachi à Tōkyō montre ce qui est favorisé par le gouvernement central nippon. Et décrypte aussi le vécu du quotidien des personnes âgées. Ces études de cas permettent de mieux percevoir quelle forme prend le système de soins intégrés communautaires souhaité par le Japon pour répondre au défi du vieillissement.
Révéler les limites de l’approche française
Par comparaison, l’expérience japonaise révèle les limites des acceptions françaises. Car celles-ci tendent à catégoriser les personnes âgées de façon rigide entre autonomie et dépendance. En effet, sans cette catégorisation, les personnes ne peuvent pas s’identifier aux définitions législatives et aux dispositifs mis en œuvre. Or, non seulement les besoins des personnes qui vieillissent sont hétérogènes. Mais ils évoluent et ne peuvent s’inscrire dans un cadre administratif trop rigide. En ce sens, le système de soins intégrés communautaires du Japon montre ce que pourrait être une politique envisagée de manière globale et systémique.
La logique communautaire au service du vieillissement
Au Japon, la logique communautaire incite à une vision du soin et de l’accompagnement moins sectorielle. Elle prend en compte les différentes réalités du maintien à domicile : voisinage, services de proximité, entraide. Prôner une gestion plus locale des besoins de l’ensemble des habitants peut aider à une meilleure reconnaissance des interdépendances et à celle des situations de fragilité. L’échelle du quartier est celle privilégiée par les populations pour trouver une réponse à leurs besoins, développer les soins et l’inclusion pour tous les âges. Les communautés de voisinage émergent d’ailleurs souvent pour répondre à ces objectifs. Cette approche entre en résonance avec la vision du care de Joan Tronto. En effet avec une approche globale des besoins de chacun, cette vision inclue non seulement le care aux individus, mais aussi la prévention et l’entretien de l’environnement social et physique dans lequel ils évoluent, le care social. De plus, l’informalité (activités et pratiques) est plus aisée au Japon au regard des mesures coercitives plus présentes en France. L’informalité offre plus de flexibilité et d’adaptabilité aux situations territoriales et personnelles dans lesquelles les individus évoluent.