Autonomie La transmission des objets domestiques à la vieillesse

La transmission des objets domestiques à la vieillesse

Les donataires prescripteurs de l’héritage ?


Contribution

Poursuivant sa réflexion sur la transmission dans la vieillesse, engagée autour du don en héritage de sa maison par la personne âgée à ses enfants, Perla Serfaty-Garzon s’intéresse dans cet essai aux objets domestiques. Elle propose ainsi au lecteur un diptyque qui analyse les enjeux affectifs et existentiels de la transmission contemporaine dans le temps du vieillir.

Explorer l’attachement aux objets domestiques avant la transmission

Dans La transmission des objets domestiques à la vieillesse, Perla Serfaty-Garzon s’intéresse plus particulièrement à la génération des aînés qui, n’ayant pas vécu les privations de la guerre, a plutôt connu un parcours de vie dans lequel l’acquisition et l’accumulation de choses ont pris des significations nouvelles. Une génération de personnes qui a baigné dans la montée de la société de consommation. Elle y dessine le champ de leur attachement aux objets domestiques puis se propose de répondre à la question suivante : « Quels sont les modes d’accomplissement du don direct de ces objets dans le temps de la vieillesse ? »

Processus d’appropriation du chez-soi et expérience de l’habiter

Comme le souligne l’auteur, les objets domestiques – meubles, livres, linge, vaisselle, objets décoratifs, etc., mais aussi les bijoux, vêtements, photographies, documents privés, etc. – s’inscrivent à des titres divers et selon des modalités différentes dans les processus d’appropriation du chez-soi et de l’expérience de l’habiter. Attachés à̀ la personne habitante, ils sont porteurs d’une charge évocatrice de cette dernière. Dans leur matérialité, ils ont aussi la propriété de se prêter à la saisie et au déplacement, et à leur mise en espace autour de soi en vue de l’élaboration d’un monde propre. Ils se prêtent ainsi au don direct, en personne et par simple changement de mains, entre donateur et donataire.

Les objets domestiques : une écriture de soi et de sa maison

Cette approche des choses matérielles appelle la prise en compte des investissements du sujet qui les dotent de souvenirs et, plus généralement, de profondeur temporelle et de jalons événementiels d’ordre biographique ou familial. Également investis de sentiments, de traces de la présence de leur possesseur, de dialogues et de liens de familiarité, ces choses se voient transformées en objets, c’est-à-dire en choses dont la matérialité est devenue signifiante et parlante. Les objets qui reçoivent leur valeur de ces investissements sont alors des monuments « au sens premier du terme, ce qui garde mémoire par son être même, ce qui parle directement, par le fait que cela n’était pas destiné à parler (…) un objet ménager, un tissu, une poterie, une stèle ». (Rancière)

Les objets se posent alors en substituts « d’autre chose ». Parfois, le sujet attribue à certains d’entre eux, à travers les paroles ou les récits qu’il fait de leur histoire et de leurs significations – récits eux-mêmes constitutifs de son identité – une forme de vie qui instaure les choses en « objets-personnes » (Severi).

Les objets domestiques : transmission et classe sociale

Les objets domestiques sont par ailleurs, et de manière fondamentale, des indices de classe sociale. Ils ne peuplent ni ne remplissent de manière semblable l’espace des maisons habitées par les différents groupes socio-économiques. Le style des objets, leurs matériaux, leur disposition et leur nombre, autant que la disponibilité de l’espace vide et la multifonctionnalité de certaines pièces indique le niveau de fortune et, plus généralement, les appartenances de classe. Mais, quel que soit leur statut d’indice, les objets domestiques ont en commun d’être investis de l’attachement et des affects de ceux qui les ont possédés et de porter, à ce titre, une émotion biographique.

Sélection ou refus : les donataires, nouveaux prescripteurs de l’héritage

Perla Serfaty-Garzon, s’appuyant sur ses enquêtes de terrain, offre un large aperçu du rapport des personnes âgées à leurs objets personnels dans la maison. Et de la manière dont elles manifestent le désir d’écrire dans la vie de leurs descendants et proches qui elles ont été.

Ces analysent éclairent les attitudes contemporaines des donataires, en premier lieu les enfants et les petits-enfants de la personne âgée. Les premiers en faisant part de leurs réticences à recevoir ces objets et à les installer chez eux, voire en les sélectionnant, manifestent une attitude nouvelle à l’égard de l’héritage. En effet, souvent déjà âgés et largement équipés, leur propre maison envahie par les objets, ils hésitent à recevoir ces dons qui viennent inscrire la présence du parent dans leur chez-soi. Ces donataires s’affirment alors comme prescripteurs en matière d’héritage. La présence des seconds, petits-enfants mais aussi amis proches, dans le circuit du don des objets, rend compte de la nécessité pour la personne âgée d’élargir le champ des donataires possibles.

Perla Serfaty-Garzon, psychologue de l’environnement, universitaire, sociologue et essayiste, est une théoricienne de l’intimité domestique et de l’appropriation des lieux habités. Elle a également publié dans la série Contributions : « Les temps de l’habiter » et « Donner sa maison à la vieillesse » qui constitue avec cette contribution un diptyque sur les sens et les enjeux intimes de la transmission contemporaine.

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