Analyse de la customisation de masse
Quelles sont les pratiques de bricolage dans le logement au Japon ? Camille Picard, doctorante et chercheure-associée LEROY MERLIN Source, apporte un éclairage sur ces deux marchés, leurs dynamiques et leurs liens.
Le marché du logement au Japon : une dynamique forte
Au Japon, l’industrie du logement, en particulier sa production est très dynamique depuis l’après-guerre. Les acteurs du secteur sont fortement identifiés et implantés. Ils ont contribué au développement de l’économie du pays. Mais aussi à la formation de l’habitation ordinaire japonaise. Or aujourd’hui les évolutions sociodémographiques bouleversent leur modèle économique : baisse de la natalité, augmentation du nombre de ménages composés d’une seule personne, vieillissement…
Le marché du bricolage au Japon : une dynamique moins favorable que celle du logement
Quant au marché du bricolage, il ne s’est pas développé aussi fortement que celui du logement au Japon. Et il n’a pas marqué l’univers du logement japonais de la même façon. Pourquoi ? Deux principales raisons :
- La manière dont le logement est produit en fait un lieu défavorable au bricolage : renouvellement régulier du parc, standardisation des formes et des processus de fabrication…
- Les pouvoirs publics ont contribué à limiter le développement de grandes surfaces de vente. Ce qui régule par conséquent l’ouverture de magasins de bricolage.
Construction des logements au Japon : le règne de la customisation de masse
Les parcs d’exposition de maisons témoins le montrent : les constructeurs ont largement standardisé la fabrication des logements. Grâce à la maitrise des coûts et des composants, les maisons sont « personnalisables » : c’est la « customisation de masse ». À l’inverse, les constructeurs locaux plus petits se démarquent avec des espaces sur mesure pour les individus en recherche d’un produit unique.
Customisation de masse : l’illusion du sur-mesure
Cette « flexibilité » même limitée offre aux habitants un sentiment d’appropriation et de personnalisation de l’espace. Comme l’ont démontré certains chercheurs, la customisation de masse renforce le sentiment d’avoir « désigné soi-même ». En effet, cette technique permettrait de tirer profit des sentiments positifs que les individus éprouvent lorsqu’ils conçoivent eux-mêmes un objet. Les clients des entreprises productrices de design de masse seraient donc satisfaits par le produit final.
Le bricolage au Japon : un marché moins essentiel
Ainsi, le recours aux magasins de bricolage pour incarner sa personne et son identité dans l’espace du logement ne présente pas le même intérêt au Japon qu’en Occident. En Occident, le « chez-soi » nécessite une appropriation des lieux par le biais de travaux (pour effacer les traces de l’ancien occupant). Au Japon, l’habitation est neuve et immédiatement conçue selon ses goûts. Et les chiffres sont frappants :
- 31 milliards d’euros de chiffre d’affaires des magasins de bricolage en France (Fédération des Magasins de Bricolage et de l’aménagement de la maison, 2021) pour 67 millions de Français.
- 32 milliards d’euros de chiffre d’affaires des magasins de bricolage pour 125 millions de Japonais.
Développement du bricolage au Japon les étapes
En 2019, Minataka a identifié plusieurs périodes et évènements dans le développement du secteur du bricolage au Japon.
- 1ère étape : depuis 1973, une loi limite le développement de magasins aux larges surfaces de vente. Au départ, cette loi servait à prévenir les commerces de proximité de l’ouverture d’un grand magasin. Elle a été modifiée pour empêcher l’ouverture de surfaces de vente supérieures à 500m2 avant d’être de nouveau assouplie.
- 2ème étape : depuis le début des années 2000, le secteur du bricolage connaît un cycle de « maturité ». Il est caractérisé par une croissance lente mais continue. Enfin, l’auteur note que les produits proposés dans les commerces se diversifient. Mais qu’ils sont aussi entrés en concurrence, dans des magasins d’autres secteurs avec des articles qui n’ont pas de lien unique et direct avec le bricolage (articles du quotidien, appareils ménagers, rangements, etc.).
Le rapport au logement et au « chez soi » des Japonais
D’un point de vue plus sensible et sociologique, le rapport au « chez-soi » et l’appropriation du logement ont été en partie expliqués par l’effacement de l’individu au profit du groupe. Au Japon, le rapport à l’appropriation du « chez-soi » est très différent qu’en Occident. Les propriétaires n’y verraient pas la même façon d’exprimer leur identité. Leur priorité ? Les aménagements intérieurs qui assurent le niveau de confort et s’adaptent aux besoins de la famille. Le logement est d’abord le lieu de vie de la famille plutôt qu’un lieu de réception. Finalement, ce ne serait pas dans la personnalisation de l’espace, mais plutôt dans la manière dont il est occupé que ressort le caractère intime du « chez-soi » au Japon. Au Japon, le bricolage dans le logement répond donc plus à des problématiques « pratiques » que décoratives.
Camille Picard, est doctorante au Lab’Urba et en thèse Cifre au sein de Leroy Merlin Source. Elle a déjà publié deux Contributions sur l’adaptation de la salle de bains au vieillissement et sur la flexibilité et la plasticité du logement au Japon.