Les présents de l’habiter
Leroy Merlin Source présente sa nouvelle recherche menée par Elsa Ramos et Pascal Dreyer : Les objets d’ailleurs dans le logement : les présents de l’habiter. À l’origine de cette recherche, une question : quelles sont les significations et les rôles que les habitants attribuent aux objets qu’ils ramènent chez eux d’une vie en expatriation, d’un voyage touristique ou lors d’une période de migration pour des raisons d’études ou professionnelles ?
Objets d’ailleurs : périmètre et impact
Très rapidement au démarrage des entretiens, il est apparu une autre source d’objets d’ailleurs : ceux issus de la transmission intergénérationnelle. Ainsi au total, à travers leurs entretiens approfondis, les chercheurs ont observé une centaine d’objets. À partir de cette présentation d’objets par les enquêtés, ils ont révélé trois dimensions qui permettent de classer ces objets d’ailleurs.
Les trois dimensions de l’ailleurs
- La dimension géographique : elle permet aux enquêtés de situer et de mesurer une distance par rapport à un lieu donné (pays, région, ville ou endroit d’une maison). Les individus cherchent à circonscrire et identifier l’origine géographique de ces objets. Ils créent ainsi un lien tangible entre le là-bas et le ici.
- La dimension temporelle : elle façonne la perception du temps des habitants. Dater et mesurer une distance temporelle à soi permet de mieux appréhender la temporalité inscrite dans ces objets et de se mesurer à elle. Ils articulent ainsi plusieurs échelles de temps : celle de l’Histoire (mondiale, nationale ou régionale), de l’histoire familiale et de l’histoire personnelle. Elles sont l’occasion de mesurer la distance temporelle entre soi et ce que l’objet représente. Soit la distance temporelle évoquée mesure l’inaccessibilité (passée ou de manière projective future), soit elle mesure ce qui constitue toujours une partie de soi, sous la forme d’une datation.
- La dimension relationnelle : met en lumière l’importance des aspects culturels, familiaux et sociaux véhiculés par ces objets. Ces objets sont porteurs de vécus, de savoir-faire et de goûts qui résonnent avec les individus interrogés. Nommer et mesurer une distance relationnelle à soi implique de reconnaître l’influence des personnes et des relations associées à ces objets, renforçant ainsi le lien émotionnel et symbolique qui les unit à leur propriétaire. Les objets d’ailleurs deviennent ainsi des témoins de nos liens passés et présents avec autrui. Ils enrichissent notre environnement intérieur et notre sentiment d’appartenance.
Objets d’ailleurs : une « décoration sensible »
Refusant les termes de décor et de décoration qui définissent un environnement artificiel, illusoire et sans profondeur, les personnes interrogées habitent un environnement « vivant ». Les objets d’ailleurs y ont toute leur place. Ils ne peuvent être assimilés à de la décoration même s’ils y contribuent objectivement, notamment à titre esthétique. Définis comme des « trésors » choisis, ils se caractérisent par le fait d’être « sensibles ». C’est-à-dire en écho ou en réponse avec les lieux et les étapes de vie des personnes. Ils contribuent toutefois à ce que les chercheurs définissent extérieurement comme le décor du logement en étant présentés sous formes d’arrangements qui donnent forme et racontent aux personnes des lieux, des moments de vie personnels ou familiaux, des relations.
Les usages des objets d’ailleurs dans la maison
Les usages des objets d’ailleurs sont nombreux et différents. Certains font l’objet d’une conservation soignée, au titre de leur beauté, de leur ancienneté ou de leur fragilité. Ils sont alors tenus à l’abri du regard et exposés de manière rare, ou exposés de manière presque muséale ou sacrée. Ils sont également entretenus ou remis en état avec attention. Dans le quotidien certains objets d’ailleurs sont utilisés régulièrement, voire fréquemment, tout en conservant leur dimension d’ailleurs. D’autres, à force d’être utilisés, vont se fondre dans la grande classe des objets du quotidien d’ici. Pour les objets utilisés fréquemment et gardant leur dimension d’ailleurs, une crainte partagée est de les abîmer ou de les perdre et de ne pas pouvoir les remplacer.
Cinq présents pour une prise en compte de la densité de l’habiter
À partir de l’étude de la centaine d’objets d’ailleurs présentés, la recherche définit cinq « présents de l’habiter ». Ils aident à comprendre la densité de l’expérience d’habiter enrichie par la prise en compte de l’ailleurs. Ces cinq types de présents à soi se répartissent en deux catégories :
- Les présents de l’habiter qui manifestent une continuité entre le maintenant et le là-bas. Il s’agit du présent par résonance et du présent par actualisation.
- Les présents de l’habiter qui marquent par la discontinuité entre le maintenant et le là-bas : présent patrimonialisé, présent nostalgique, présent endeuillé.
La recherche distingue ces cinq présents pour l’analyse mais l’expérience de leur porosité est grande au cours de la vie de l’individu.
Le rôle des objets dans la construction de l’identité spatiale et temporelle
La recherche souligne l’importance des objets d’ailleurs dans la construction de notre identité spatiale et temporelle. Ces objets agissent comme des ponts entre le passé, le présent et le futur sous une forme narrative ou projective, avec les personnes qui ont compté et comptent pour l’individu et des espaces géographiques plus ou moins accessibles. Dans la trame du décor du logement, les objets d’ailleurs sont les lieux d’une activation et d’une actualisation, volontaires et involontaires, sensorielles et affectives des arrière-plans qui constituent la vie des individus. Activation et actualisation qui donnent leur couleur au présent de l’habiter.