Entretien et restitution audiovisuelle du chantier de recherche mené par Jean Paul Filiod et Hélène Subrémon
Comment se déroulent les projets d’aménagement du logement lorsque les habitants les réalisent par eux-mêmes ? Quelles difficultés rencontrent-ils ? Quels sont les enjeux des négociations dans la famille et au-delà ? Quelle est la contribution des professionnels de l’habitat ? Jean Paul Filiod et Hélène Subrémon, anthropologues, ont suivi pendant une année le projet d’aménagement de deux ménages en région parisienne et en région lyonnaise. Ils ont constaté comment ces projets non seulement se transforment au fil du temps, de l’intention initiale à l’achèvement des travaux. Mais aussi sont menés selon des logique propres, parfois peu compréhensibles et visibles par un œil extérieur.
Les principaux enseignements de ce chantier ainsi que le matériel récolté au cours du travail d’enquête ont fait l’objet d’un film qui mêle interview des chercheurs et mise en image des deux projets d’aménagements aux logiques personnelles et familiales distinctes.
Hélène Subrémon et Jean Paul Filiod répondent à nos questions.
Voir le film intégral Histoires de projets
1/ Vous travaillez tous les deux depuis de nombreuses années sur l’habiter dans des domaines différents. Comment le projet de recherche « Histoires de projets » a-t-il pris forme ?
Nous travaillons l’une et l’autre à partir d’une approche anthropologique de l’habitat, des espaces et des univers domestiques. Chacun avec nos thèmes de recherche spécifiques – le rapport à l’énergie dans la maison [Hélène Subrémon], les questions autour du lien ordre-désordre [Jean Paul Filiod] –. Nous avons le souci de comprendre comment les habitants s’approprient des espaces, des espaces-temps, des pratiques, et notamment comment ils les négocient lorsque ces habitants sont des cohabitants. Notre participation au groupe Usages et façons d’habiter de Leroy Merlin Source depuis plusieurs années nous a donné envie de suivre des projets de rénovation réalisés par des habitants qui mettent un minimum la main à la pâte. C’est-à-dire qui ne rechignent pas à du bricolage, qui se déplacent dans les magasins, font des choix, se donnent un temps pour faire les travaux. Nous nous demandions comment se déroulent ce qu’on appelle communément des « projets ». Pour en examiner toute la richesse, nous nous sommes attachés chacun à un seul terrain, l’un dans l’agglomération parisienne, l’autre dans l’agglomération lyonnaise.
2/ Comment se construit le projet d’aménagement au sein du couple/de la famille et du logement ?
Dans la complexité. Un projet comporte de nombreux paramètres : une représentation symbolique (accueillir un enfant, construire une maison confortable…), un budget, des contraintes d’espace, des compétences techniques, des offres commerciales, des conseils qui proviennent de toutes parts, et bien sûr une capacité à projeter, à voir son projet avant réalisation. Être pris dans un projet, c’est faire avec tous ces paramètres, qui ne vont pas toujours tous dans le même sens. Le projet doit alors être vu comme un ensemble de contraintes et de ressources qu’il n’est pas toujours facile d’accorder. Encore moins dès le départ et selon une planification toute tracée. Le résultat a de fortes chances de ne pas ressembler à ce qu’on avait imaginé. Plus encore : le projet s’affine et se met en récit au fur et à mesure qu’il se concrétise, chemin faisant. Or, on nous sert régulièrement l’image d’un projet qui serait pensé avant sa mise en route. Cette image est idéale. Mieux, c’est une fiction qu’on nous raconte. La complexité est la règle. Tout projet comporte de l’incertitude, les réalités matérielles et humaines se chargeant de faire vaciller le plan initial.
3/ Parmi les conclusions de votre enquête, y en-a-t-il une qui vous surprend particulièrement ?
Dans le droit fil de ce qui précède, nous dirions qu’il n’y a pas un projet, une forme générique de projet, mais des projets, des types de projets. Notre étude ne permet pas d’en faire une typologie rigoureuse. Mais ce qui nous a surpris, c’est que, bien qu’ayant travaillé sur seulement deux ménages, les différences sont nombreuses sur la manière de mener un projet de rénovation. Au point qu’une discussion nous a beaucoup animés récemment sur l’existence même d’un projet sur l’un des deux terrains. La réalité est telle qu’on pourrait dire parfois qu’il n’y a pas de projet… Mais simplement des pratiques qui s’enchaînent, sans autre but que de faire. Bien entendu, le fait de faire comporte toujours un tant soit peu de projet, mais voilà, la question se pose et elle nous intrigue.