Trois questions à Thierry Roche
Thierry Roche, architecte, est l’initiateur du chantier d’études Pratiques de consommation d’énergie dans les bâtiments très performants : consommations théoriques et consommations réelles, mené au sein de Leroy Merlin par le sociologue Gaëtan Brisepierre.
A retrouver dans la conférence Pratiques de consommation d’énergie dans les bâtiments pionniers de la performance énergétique, le 19 mars 2013 à 14h30, lors des 2mes Assises de Leroy Merlin.
Vous faites partie des pionniers en France de la performance énergétique des bâtiments, à travers des réalisations de logements individuels et collectifs, ainsi que de bâtiments tertiaires, tels que la Cité de l’Environnement à Saint-Priest (Rhône). Pourquoi avoir voulu et conçu avec un sociologue une étude de terrain auprès des occupants de vos propres bâtiments (habitants, gestionnaires des systèmes techniques…) ?
Thierry Roche : depuis plusieurs années nous avions lancé de nombreux projets de Recherche et Développement (R&D) mis en application dans ces bâtiments, tels que le Patio Lumière (Eco-quartier de Bonne à Grenoble) ou les maisons passives des Hauts de Feuilly à Saint-Priest. Nous avons voulu vérifier si nous réalisions effectivement ce que l’on avait annoncé, étudier l’adéquation entre les performances calculées au préalable et la réalité des usages. Au fond, nous sommes convaincus qu’on ne peut pas se contenter de fournir a priori des réponses techniques aux enjeux environnementaux et énergétiques dans la construction, sans s’intéresser à la vie du bâtiment et de ses occupants. Il était important de confier cette mission à une personne extérieure, qui apporte une méthode sociologique fiable sur un registre qualitatif ; quelqu’un qui n’ait pas notre implication personnelle et affective forte sur ces bâtiments et les choix dont ils sont porteurs.
Comment accueillez-vous les premiers retours de l’étude ?
Cela conforte les intuitions et les retours d’expérience plus épars que nous avions déjà : on constate un manque de continuité, de cohérence, dans le long processus qui va de la conception à la réalisation puis à la vie d’un bâtiment. On pressentait ces résultats, mais on ne mettait pas les mots dessus. On sait aujourd’hui qu’il manque une interface, des liens entre concepteurs, réalisateurs et habitants ou occupants. Entre ces acteurs peuvent se glisser des incompréhensions sur les interactions entre les personnes et le bâti, sur la transmission du mode de fonctionnement et du sens des systèmes techniques et énergétiques qu’il comporte. C’est une clé majeure qui explique les réussites et les faiblesses constatées dans les performances effectivement pratiquées et vécues par les habitants en aval par rapport aux performances calculées en amont.
Quelles perspectives pouvez-vous dresser ?
A partir de ce travail de recherche et de notre expérience ainsi remise en perspective, nous allons réfléchir à un nouveau mode de gouvernance de nos projets. La simple livraison ne suffit pas : nous nous préoccuperons désormais de la dimension transversale dans toute la chronologie des projets, de la conception jusqu’aux premiers temps d’occupation après livraison. Nous avons besoin d’un animateur qui assure tous les liens identifiés : les interfaces au cours du chantier entre concepteurs et constructeurs, y compris par des formations partagées si nécessaire sur les impératifs techniques de construction ; la relation avec les occupants durant un à trois ans après leur entrée dans les lieux ; la relation entre habitants et gestionnaires des systèmes techniques… Nous devons créer ces liens manquants, créer une culture partagée pour appréhender la performance énergétique dans toutes ses dimensions : la faire comprendre, la mettre en œuvre, la garantir et l’optimiser.