Architecture & urbanisme Architecture La maison contemporaine passive

La maison contemporaine passive

Entretien avec Thierry Roche, architecte et correspondant LEROY MERLIN Source


Entretien

Architecte lyonnais Thierry Roche s’est fait largement connaître par sa réalisation emblématique des Hauts de Feuilly, lotissement passif construit dans la banlieue de Lyon.
Il l’est moins pour son approche dynamique de l’architecture, respectueuse de tous les métiers et professionnels impliqués dans un projet.
Loin de la figure de l’architecte / artiste, Thierry Roche veille à construire des consensus qui, à travers une maîtrise vivante des projets, améliorent la vie des habitants et préservent les ressources de la planète. Avec pragmatisme et sans angélisme.

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Comment est né le quartier des Hauts de Feuilly, réalisé avec le promoteur MCP (Maisons Couleur Provence), un quartier emblématique des attentes des collectivités comme des habitants ?

Notrehauts_feuilly_01 partenariat s’est mis en place il y a six ans. En nous rencontrant, Gilbert Goutheraud souhaitait faire évoluer MCP, constructeur de maisons de style provençal, à la fois vers un style architectural plus contemporain et prendre en compte les enjeux du développement durable. Passionné par toutes les problématiques de l’habitat, il travaillait déjà avec des industriels sur différents projets dont le développement de la domotique dans l’habitat ordinaire.

Nous avons souhaité construire ensemble des projets au style architectural hauts_feuilly_03contemporain affirmé qui tiennent compte des nouvelles attentes des collectivités et des habitants : plus de densité, performances énergétiques très améliorées, etc. Nous avons d’abord produit des maisons en structure acier dont la performance énergétique était de 80kW/m2. Puis, nous avons réfléchi à des modes de construction alternatifs. Pour notre seconde opération conjointe, nous avons réalisé un parc de 119 logements en adoptant le label Minergie, soit une performance énergétique de 38kW/m2. La limite de l’exercice est qu’il s’agissait encore de construction traditionnelle. L’impact sur l’environnement, notamment celui du chantier, était encore très significatif.

L’opération des Hauts de Feuilly est-elle emblématique d’une nouvelle façon de concevoir les relations entre l’architecture et la maîtrise d’ouvrage ?

La ZAC (zone d’aménagement concerté) des Hauts de Feuilly représente un saut qualitatif à plusieurs points de vue, tant dans la conception du projet que dans sa réalisation. Il s’agit d’un projet déjà ancien du Grand Lyon, (1998) qui avait plusieurs objectifs : densification de l’habitat, proposition de différentes formes d’habitat (maison courée, petit collectif), traitement des eaux pluviales, connexion du lotissement à des transports mode doux (tramway), etc.

Dès la conception du programme de logements, nous avons souhaité travailler de manière plus large qu’habituellement les questions d’urbanisme, de qualité de l’habitat (santé, etc.) et de performances énergétiques posées par le projet. Nous avons réuni un groupe de travail autour de nous qui comprenait les industriels (Knauf Bâtiment, Aldès, etc.), Suzanne Déoux, médecin, Olivier Sidler, énergéticien, Didier Larue, paysagiste, l’équipe de Tribu (bureau d’étude HQE), Bastide–Bondoux (calculs thermiques réglementaires), etc. Chacun avait à apporter sa pierre à l’édifice pour concevoir un habitat qui réponde aux attentes de la collectivité et de l’habitant et accompagne les usages nouveaux des ressources que sont l’air, l’eau, la lumière.

Le médecin a eu un rôle très important pour tout ce qui a concerné le choix des matériaux intérieurs (peintures, revêtements de sol, etc.). Le paysagiste a eu son mot à dire sur l’évapotranspiration pour la climatisation naturelle de la maison en été, sur la mise en place du potager ou de la piscine naturelle. L’optimisation de la lumière naturelle a également été discutée en lien avec la qualité de vie projetée et réelle des futurs habitants. Ce travail collectif a permis que nous définissions reliés entre eux et non pas séparément les objectifs du projet et ses coûts. Nous avons partagé les différents points de vue et élaboré ensemble les réponses. C’est ainsi que nous en sommes venus à concevoir une maison aux panneaux pré-montés en usine et assemblés sur place. Deux camions seulement sont nécessaires pour acheminer tout la structure de la maison et les blocs sanitaires.

Comment prenez-vous en compte les usages des habitants de ces nouveaux agencements de la maison ?

Avec notre médecin, nous créons de nouveaux usages c’est certain. Pour des raisons évidentes de pollution de l’air par les gaz d’échappement des voitures, le garage ne s’ouvre plus sur la maison. Nous avons été très attentifs à l’emplacement de l’abri des vélos, à l’organisation du tri des déchets, du compostage, à la présence d’une cave enterrée… Tous ces choix mis bout à bout influent directement sur les consommations énergétiques.

En revanche, en termes de budget, ces maisons ne sont pas représentatives de ce que nous voulons faire, à savoir démocratiser la maison contemporaine passive. Leur coût est encore relativement élevé et elles s’adressent plutôt à des cadres supérieures qu’à des primo-accédants.

Quels sont les premiers retours d’usages que vous constatez ?

Les premières maisons seront livrées en septembre 2009 : nous n’avons pas encore de retours d’usage des habitants. Mais la maison témoin a été utilisée régulièrement par lors de visites de groupes ou des réunions. Nous avons constaté que nos choix techniques (notamment en terme de matériau pour le plafond – de la zéolithe, roche naturelle aux propriétés adsorbantes des odeurs et des particules -, et de ventilation) préservaient une qualité de l’air très étonnante. Même après des réunions de plusieurs personnes, l’air est presque sans odeur et respirable !

Si nous avons une interrogation, elle porte sur le comportement de la maison durant une forte canicule. Cela n’a pas été le cas l’an dernier et nous restons donc dans l’expectative. Autant la thermique d’hiver est facile à évaluer et à régler, autant celle d’été dépend de facteurs extérieurs complexes comme le comportement de l’habitant, le maniement des protections solaires ou l’évapotranspiration du jardin. Entre les facteurs extérieurs et les usages propres à chacun, nous avons moins de prises que sur la thermique d’hiver.

La Dombox est l’une des innovations de cette maison. A quoi sert-elle et comment t va-t-elle évoluer ?

La Dombox est appelée à jouer un rôle de plus en plus important pour l’habitant, notamment lors de la survenue du grand âge et de la dépendance. Pour le moment elle est tout à la fois la mémoire et le carnet de bord actualisé en permanence de la maison. Côté archive, la Dombox garde la mémoire du chantier, les fiches matériaux, les interventions réalisées, le nom des entreprises, les plans détaillés, etc. Côté usages et consommation énergétiques, elle propose les adresses des déchèteries, des alertes météo, rappelle ce qu’est l’usage quotidien de la maison (aération, etc.), et surtout permet de suivre en temps réel et en Euros sa consommation énergétique. Tous les propriétaires ne seront pas sensibles à ce dernier aspect, mais il nous a paru intéressant de proposer cette manière d’envisager la consommation, plus directe que les indications de consommation classiques qui ne sont pas très parlante pour les habitants.

Au cœur de votre démarche, l’architecte trouve une place nouvelle. Il n’est plus un créateur isolé mais une voix parmi d’autres dans un groupe à la recherche de consensus et non de compromis.

Avec les Hauts de Feuilly nous avons déjà fait une avancée significative dans la préfabrication de la construction des parois et des modules de la maison. Mais le béton reste présent notamment dans les fondations, ce qui n’en fait pas un chantier propre. Lorsque nous avons été retenus pour un nouveau programme de 100 logements, nous avons fait le pari de repousser encore les limites de préfabrication des murs en allant jusqu’à la préparation des panneaux aux enduits et couleurs naturels. Evidemment, pour arriver à ce résultat, l’architecte ne doit plus considérer l’industriel comme un fournisseur mais un partenaire qui intervient très en amont dans le projet. L’architecte est alors le garant de la production d’une architecture contemporaine, accessible et modulaire.

Cette méthode de travail doit permettre de produire en « masse » un habitat de qualité, d’un coût moindre, habitat qui modifiera en profondeur les usages des habitants afin de s’adapter aux enjeux de la transition énergétique (changement climatique et après pétrole). Ce travail sur les usages et l’intégration des projets dans une vision urbanistique de la ville plus réactive que celle que nous connaissons aujourd’hui permet d’imaginer des formes d’habitats qui sont aussi et d’abord des lieux de vie. Actuellement les ZAC sont figées pour 10 à 15 ans, ce qui ne permet pas de s’adapter aux phases de crises et de relance que nous traversons. Les appels d’offre, loin de suivre un mouvement cohérent, sont un véritable feuilletage, un empilement de procédures et d’acteurs qui provoque une perte de lien et de partage des projets et au final la production d’un produit logement qui n’est pas satisfaisant (non maîtrise des coûts accumulation d’erreurs largement évitables).

Quelle méthodologie de projet et de travail permet d’atteindre ce résultat ?

La méthodologie mise en œuvre est celle du consensus. Elle refuse l’empilement et affirme la nécessité du dialogue. Au sein d’un groupe de projet, l’architecte possède la vision de la forme du lieu de vie à créer et de ses usages. Il est une voix parmi d’autres, et sa qualité principale est de n’être spécialiste de rien. Il peut réaliser la synthèse de tous les apports. Dans chaque discussion, il fait bouger le curseur afin de créer des équilibres, en fonction des besoins et des possibles de chacun. Je crois que son rôle est celui d’un metteur en scène qui élève le promoteur, l’énergéticien, etc. en rendant leur vraie réalité à chacune des techniques qui concourent à la création et à la réalisation du projet.

Enfin, je suis convaincu que la qualité d’un projet est tributaire assez directement du plaisir éprouvé par les différents membres d’un groupe à le réaliser. Cela n’exclut pas les tensions, les frottements, les ajustements nécessaires. Mais cela signifie que chaque acteur se met en phase avec à la fois le sens du projet, sa finalité et ce dont il a envie lui-même. C’est là, dans cet espace partagé, que se construisent un sens commun et le partage de valeurs.

Comment est né le projet de la Cité de l’environnement dont vous êtes en quelque sorte l’animateur ?

A force de nous réunir en mode projets, nous nous sommes dits : pourquoi ne pas travailler dans un même lieu qui répondent à nos aspirations, à la fois en conception, construction mais aussi usages. Un lieu ouvert mais construit sur un modèle économique qui en garantirait la pérennité.

Il y a donc d’abord l’enveloppe, un bâtiment à Saint-Priest pour lequel nous sommes à la fois des investisseurs et des locataires. Nous voulions un bâtiment performant (en énergie positive tous usages intégrés, sans climatisation, etc.), regroupant toutes les problématiques d‘un lieu de vie, et offrant une véritable  mutualisation de services (cafétéria, serveurs, etc.). Pour la gestion du lieu nous avons crée un syndic intégré qui a rédigé une charte de vie (et non un règlement intérieur). Cette charte de vie définit par exemple que les tours d’ordinateurs sont interdites au profit d’ordinateurs portables sur base ; elle formule aussi le principe d’une centrale d’achat développement durable pour tous les habitants de ce lieu de vie professionnel. Les nouveaux nous rejoignent par cooptation des partenaires présents.

Evidemment la réalité économique ne nous permet pas de faire tout ce que nous voulions d’un coup. Le potager attendra donc un peu. Nous voulions aussi planter deux cents arbres sur le site. Comme nous n’avions pas le budget, nous avons demandé aux deux cents personnes du site d’acheter un petit arbre et de venir le planter à l’occasion d’une grande rencontre. Tous ont accepté avec une grande joie. Dans un monde profondément déculturé, il ne faut pas renoncer à sa vision mais chercher une voie qui permette de toujours mailler symbole et culture.

Outre nos partenaires, le bâtiment accueillera le Pôle Solère qui réunit les bureaux « Recherches et développements » de plusieurs constructeurs et des associations environnementales. Ce pôle a été initié par MCP. Son espace d’exposition sera tourné vers l’extérieur pour des conférences, discussions et forums. Nous rejoignent également les responsables de la sociocratie et de la communication non violente. Cette approche holistique indique bien je crois que ce que nous visons c’est bien la construction de consensus mobiles et vivants et non l’enfermement dans des compromis bloquants et donc stériles.

Propos recueillis par Pascal Dreyer, juin 2009

 

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