Habiter Espaces habités Paul Chemetov : Imprévisibles Habitants !
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Paul Chemetov : Imprévisibles Habitants !

Entretien avec Paul Chemetov


Entretien

Grand témoin des 1res assises de l’habitat Leroy Merlin en 2011, Inventer la maison de demain, l’architecte Paul Chemetov a répondu à nos questions autour de la thématique : l’imprévisibilité des habitants. Quelles sont les grandes évolutions sociales que l’architecte a constatées au cours de sa carrière ? Quelles sont les attentes des habitants d’aujourd’hui ? A quels besoins doit répondre l’habitat ? Comment s’inscrit-il dans le temps ?

Les habitants sont-ils imprévisibles pour l’architecte ?

Paul Chemetov : Les habitants seraient-ils imprévisibles ? Ce sont d’abord des êtres humains donc forcément un peu compliqués, un peu complexes, un peu riches. Mais je renverserais cet imprévisible [un-prévisible]. Ils ne sont pas un, ils sont très nombreux. Ils sont donc à minima « multi-prévisibles ». Ce qu’on a vécu au cours du siècle passé et qui continue de nos jours, c’est une mutation culturelle forte. Prenons des choses simples : le passage de la ruralité à la ville, du travail manuel aux machines dans l’habitat, l’envahissement des maisons par les images, les machines portables, tablettes, ordinateurs, télévisions, radios, téléphones. Et je ne parle pas des machines à laver, etc. La machine à habiter de Le Corbusier, ce sont les machines dans l’habitat aujourd’hui. (…)

Quand vous travaillez à concevoir un habitat collectif, vous ne pouvez pas connaître les futurs habitants. Mais il faut vous en inquiéter. Il faut regarder avec bienveillance les mœurs, leur évolution. Voir comment on habite vos bâtiments, aller quelques fois dans les réunions de locataires, entendre des inepties et des remarques très profondes. Je me souviens d’une réunion de locataires au cours de laquelle  l’un d’eux m’avait pris à parti : « il y a une fissure sous ma baignoire ».  Je lui ai répondu : « mais qu’alliez-vous faire sous votre baignoire ? » Vous pensez bien que l’artisan était dans une position telle qu’il avait eu du mal à colmater cette fissure. Mais vous vous rendez compte aussi que, dans ce débondage, l’architecte représentait un autre monde qui se nourrit sur vous, qui touche des honoraires, etc. Pourquoi la société française a apprivoisé les médecins ? C’est grâce à la sécurité sociale. Le droit au logement dont tout le monde parle devrait être ce terrain d’expériences d’un autre rapport. Celui d’une France devenue enfin urbaine à l’égard de son habitat.

Comment concevoir un habitat évolutif alors que de grandes mutations sont toujours en cours ?

La question la plus difficile dans toute activité humaine, pour toute pensée, c’est de prédire le futur et surtout dans un métier qui est à ce point plombé par sa durée de vie. Un livre, vous le déplacez d’une bibliothèque, vous pouvez cesser de le lire, le donner, le vendre sur les quais. C’est un produit fugace. Je ne parle pas d’un film. Il peut rester dans sa bobine et surtout, aujourd’hui, être compacté dans un support immatériel. Une maison, un bâti quelconque, selon la façon dont on le construit aujourd’hui, va durer cent ans. On ne peut donc pas se projeter cent ans en avant… Notre entretien se déroule dans un pavillon de 1897, certes modifié et transformé, mais qui a plus de cent ans et on y est très bien. Ce pavillon est devenu ma maison de travail. Il est très bien construit et possède une capacité de transformation grâce aux matériaux dont il est fait : briques et linteaux.

Plus que l’évolutivité, vous évoquez la perfectibilité de l’habitat, soit le fait qu’il puisse supporter transformations et modifications. Pourquoi ?

Il faut tendanciellement rendre les maisons transformables, réparables, perfectibles. Personne ne s’étonne de la modification légère, dans telle ou telle tradition familiale, d’une recette de cuisine, parce que les choses sont séparées puis assemblées. Cette question de la modification qui a traversé toute ma vie vient aussi de ce que j’ai observé du métier de maquettiste, très savant en typographie, de mon père. Ce dernier, assemblant à l’époque des caractères en plomb,  me disait : « on n’écrit pas amour comme acier sauf on si veut faire un effet de style ». Cette perfectibilité me renvoie à une phrase de Freud qui disait que la réparation est gratifiante. Nous sommes tous angoissés par la fin, la mort des maisons et notre propre mort. Les maisons se fissurent et nous nous ridons. Un jour, elles tombent et nous tombons. La réparation est une activité mentalement réparatrice qui affirme : « je me maintiendrais et je te maintiendrais ». (…)

Dans une prise de position récente dans le journal Le Monde, trois grands lettrés français défendaient le livre en disant qu’il est « un objet politique, social et poétique que nous espérons entouré de quelques humains ». (…) Je reprendrais volontiers mot pour mot leur défense au sujet de la ville et de la maison. Tous les architectes citent telle parole d’un philosophe allemand : « l’homme habite poétiquement ». Cela veut dire, que l’homme habite créativement, de façon inventive.  Il faut accepter que ce thème de notre maison, de notre maison commune, de notre maison dans laquelle nous sommes tous, soit lié à la transformation et aux modifications incessantes. Je travaille dans une maison que j’ai faite, transformée. J’habite dans un immeuble que j’ai surélevé. Et je pars en vacances dans des maisons que j’ai faites. Ces maisons ont été pour moi non seulement des ateliers mais des révélateurs de bien des choses.

 

Propos recueillis par Pascal Dreyer, Leroy Merlin Source

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