Entretien Leroy Merlin Source avec Françoise Rivoire et Pierre-Olivier Lefebvre
Leroy Merlin Source a rencontré Françoise Rivoire, adjointe au maire de Lyon, déléguée aux lien intergénérationnels et aux personnes âgées, et Pierre-Olivier Lefebvre, délégué général du Réseau francophone Villes amies des aînés. Loin des idées reçues, ils nous invitent à penser le vieillissement de la population non comme une charge inéluctable mais comme une opportunité pour transformer nos conceptions du logement et aménager la ville autrement. Cette transformation appelle d’abord à un changement de regard sur le vieillissement et les liens de coopération entre les générations. Elle renouvelle les modalités de coordination des acteurs publics et privés. Elle se déploie avec l’implication des habitants de tous les âges, dont les plus âgés, dans la formulation et la conception et des projets de logements et d’aménagement de la ville.
A quel âge est-on vieux aujourd’hui ?
Françoise RIVOIRE : Je dirai que l’on est « vieux » aujourd’hui en France autour de 75 ans et à Lyon, un peu plus tard, autour de 80 ou 90 ans selon les personnes. Le vieillissement ne doit pas être appréhendé comme une contrainte pour nos collectivités car il est l’avenir ! Il faut que nous nous en saisissions comme d’une opportunité. Et pour que les personnes vieillissantes et âgées restent des acteurs de la cité, nous devons les intégrer comme tels, quel que soit leur âge. Nous devons aussi les consulter pour améliorer leur vie de tous les jours et leur permettre de conserver leur vie sociale.
Pierre-Olivier LEFEBVRE : Ma réponse à cette question est partagée. Des adolescents aux individus les plus âgés de notre société est vieux celui qui est plus âgé que soi. Pour deux raisons : la première est que nous ne sommes pas parvenus à définir un âge chronologique qui fasse consensus. La seconde est que notre société n’a toujours pas une perception positive du vieillissement. Plutôt que d’évoquer uniquement ce dernier en termes de pertes et de déficiences, il faut le définir qualitativement : que gagne-t-on individuellement et collectivement à vieillir ?
Quel état des lieux de l’habitat et du vieillissement dressez-vous en tant qu’élue à la ville de Lyon et secrétaire du Réseau villes amies des aînés ?
Françoise RIVOIRE : Nous sommes fortement engagés dans l’adaptation des logements au vieillissement, avec le souci de la création d’une chaîne de déplacement continue entre le logement et l’environnement de vie de la personne. Ainsi, la charte d’adaptation des logements sociaux avec les bailleurs sociaux, aujourd’hui portée par la Métropole, a été initiée par la Ville de Lyon en janvier 2014. Nous avons identifié avec les bailleurs sociaux du territoire les locataires âgés afin d’accompagner les travaux dans leur logement, tout en travaillant en parallèle sur l’environnement urbain. C’est une méthode complexe qui demande d’articuler différents services et acteurs du territoire et deux grandes administrations. Mais c’est essentiel. Nous travaillons aussi avec les opérateurs privés : 20 % de logements adaptés au vieillissement sont inscrits dans la récente révision du PLU-H pour les années qui viennent. C’est un premier pas dans la démarche de prise en compte du vieillissement pour la municipalité. Cette dernière gère aussi 15 résidences autonomie et quatre établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) qui peuvent apporter une réponse de proximité aux Lyonnais âgés.
La mobilité fait le lien entre le logement et l’environnement. Nous n’avons pas résolu toutes les questions de mobilité liées à l’âge, même dans une ville comme Lyon qui possède un réseau de transports urbains dense. Le maillon manquant, comme sur de nombreux territoires, est celui de la petite distance. L’émergence de ce besoin est très liée à la longévité. Faire ses courses, aller chez le médecin, à l’accueil de jour, voir des amis, autant de courtes distances essentielles lorsque l’on est âgé mais pour lesquelles il est difficile de trouver les bonnes réponses en termes techniques, d’organisation et économiques. Mais j’ai bon espoir d’aboutir à une solution d’ici la fin du mandat.
Comment penser aujourd’hui la question du rester chez soi dans la longévité sans enfermer les gens âgés et très âgés chez eux ?
Pierre-Olivier LEFEBVRE : Il faut cesser d’opposer le domicile à l’établissement. Si le maintien à domicile répond aux attentes des personnes, c’est aussi une solution économique pour le budget de l’État. La question qui se pose aujourd’hui est plutôt celle d’un parc d’établissements qui s’est technicisé et médicalisé sans offrir d’alternatives en termes de modes de vie et de façons d’habiter. Quelle personne, saine d’esprit, peut dire : « j’ai envie d’aller dans un établissement où je ne choisirai ni mon mobilier, ni mes relations, ni mes horaires de repas, de lever, de toilette, d’activités… » ? L’amélioration de la qualité d’accompagnement en établissement est essentielle en raison des enjeux mêmes de la fin de vie. Mais il s’agit de résoudre l’équation complexe de davantage de moyens accordés aux structures et de réduction du reste à charge des personnes et des familles. Nous avons été capables de la résoudre pour l’école, pourquoi n’y parviendrions-nous pas concernant les personnes âgées ? Mais évidemment les représentations sociales et culturelles ne sont pas les mêmes aux deux bouts de la chaîne de la vie !
Si la question des établissements est mieux réglée (plus adaptés aux besoins des gens et que l’apport collectif, y compris financier, soit mieux équilibré), alors les personnes pourront mieux penser leur parcours résidentiel. Elles pourront se poser de manière plus sereine la question de leur devenir dans leur logement, son aménagement ou la perspective d’un déménagement. C’est leur permettre de s’inscrire dans une mobilité non plus subie et douloureuse mais active, et autant que faire se peut choisie. C’est d’autant plus important que seulement 10 % des personnes âgées et très âgées sont résidentes d’Ehpad.
Françoise RIVOIRE : Écouter ce dont les gens ont envie est très instructif. Certains veulent déménager dans un appartement plus adapté en habitat ordinaire, d’autres veulent aller dans une résidence autonomie où ils auront un chez-soi adapté, la sécurité et une vie sociale. Je suis frappée par le fait que la majorité des personnes des résidences autonomie de la Ville de Lyon y sont venues car elles ne se sentaient plus en sécurité chez elles. Quant aux Ehpad, il faut les repenser en tant que lieux de vie. Mais où l’on ne vit ni comme chez soi ni comme en résidence autonomie. Nous devons nous adapter à l’avis de la population qui, à un moment donné, a envie de vivre son chez-soi de façon différente.
Les cohabitations intragénérationnelle et intergénérationnelle apparaissent comme les deux facettes du refus d’un hébergement en structure médicale ou médico-sociale. Est-ce le moyen pour les habitants vieillissants de rester acteurs de leur parcours résidentiel ?
Françoise RIVOIRE : Il y a une aspiration grandissante des personnes de plus de 55 ans à vivre ensemble et à mener des projets sociaux, culturels ou éducatifs qui vont trouver un écho dans leur environnement immédiat. À partir de la question du logement, elles nous interrogent sur la place que nous sommes prêts ou pas à leur laisser dans la ville et dans la société. Elles nous indiquent aussi qu’elles veulent donner un sens à cette étape de la vie, un sens qu’elles construisent elles-mêmes. Nous devons nous approprier cette demande sociale au niveau politique. Mais les chemins pour y répondre ne sont pas normés et nous ne savons pas encore faire. De la même manière, l’habitat intergénérationnel représente un vrai challenge pour demain : je soutiens les associations qui font ce type de projet. La Ville de Lyon construit actuellement une résidence senior intergénérationnelle qui accueillera des étudiants et des seniors. Il ne faut pas avoir peur d’expérimenter dans les deux domaines. Et analyser précisément ces expérimentations avant d’envisager leur essaimage. De l’expérience des Babayagas de Montreuil à celle de la coopérative d’habitants Chamarel à Vaulx-en-Velin, en passant par le Village vertical de Villeurbanne (et d’autres sur notre territoire), nous avons aujourd’hui suffisamment de projets pour commencer à en tirer certaines leçons, de la conception à la mise en oeuvre puis à la vie quotidienne.
Pierre-Olivier LEFEBVRE : Il me semble qu’une grande part des projets actuels de cohabitation intragénérationnelle est davantage une réponse à la peur de finir sa vie en Ehpad que de véritables projets de vie collective appréhendant la question du vieillir sur le long terme. Cela se perçoit très bien dans le fait que très souvent la question de la transmission du bien et du renouvellement des générations au sein des projets d’habitat intragénérationnel n’est pas vraiment envisagée. Les porteurs de ces projets ont souvent une vision idéalisée de leur propre vieillissement qui leur évite de se poser les questions qui fâchent : comment faire avec la perte d’autonomie ? Ceux qui sont encore valides vont-ils supporter cette proximité ? Se sentiront-ils toujours solidaires de ce destin collectif ? Ces questions existentielles posent la question du modèle économique de ce type de logement : est-ce du locatif ou du privé ? Faut-il un tiers qui veille, avec la distance nécessaire, à l’harmonisation des âges afin d’éviter les effets de seuil qui vont transformer un lieu de vie ordinaire en Ehpad involontaire ?
Il me semble que les réponses les plus pertinentes s’inventent dans des lieux capables d’hybridation. Par exemple de l’habitat individuel rapproché, piloté par un opérateur qui a la distance nécessaire pour accompagner les habitants et leurs projets, gérer les conflits et le devenir des logements. Par exemple les Vill’âge Bleu© ou Âges & Vie. Ces projets répondent aux attentes et aux inquiétudes des personnes âgées : « je veux rester autonome dans ma vie, mais je ne veux pas être seul.e », « je veux avoir mon logement dans lequel je détermine comment je vis », « j’inscris ma vie dans ce lieu et dans mon parcours résidentiel et de vie ». Le rôle des collectivités et des territoires est d’offrir une gamme de propositions suffisamment large pour sortir de la stricte alternative domicile/Ehpad.
Quels grands principes doivent guider l’action d’une ville soucieuse du bien-être des personnes vieillissantes et âgées ?
Pierre-Olivier LEFEBVRE : La pensée politique commune ignore toujours la différence entre se loger/être logé et habiter. Au sein
du Réseau francophone Villes amies des aînés (RFVAA), nous sommes persuadés qu’habiter, c’est disposer autour de son logement d’un environnement bâti et social qui fait le pont, de manière simple, entre le dedans et le dehors et crée et soutient les liens sociaux.
Concernant les personnes âgées (mais c’est vrai pour toutes les classes d’âges), la pensée politique ne peut pas se contenter de postuler le seul aménagement intérieur du logement. Elle doit s’interroger plutôt sur la manière dont ce logement « respire » avec ses habitants, comment ces derniers le situent dans leur parcours de vie, long, voire très long. La façon d’habiter espaces privés et espaces collectifs du quartier et de la ville doit être prise en compte pour que les habitants se sentent bien partout où ils se trouvent. Pour cela, vieillissement et parcours résidentiel doivent être projetés à partir des mêmes déterminants : non plus sur le registre des pertes et déficiences du côté du corps, de la diminution de l’espace du côté du logement, mais qualitativement. En fonction de ce que je suis et deviens, du lieu où j’habite et des ressources spatiales et sociales auxquelles j’ai accès, quelle est ma qualité de vie ? Quelle est ma vie avec les autres ? Car l’enjeu de la ville, dès aujourd’hui, est celle de l’habiter ensemble.
Quelles sont les règles pour faire d’une ville ordinaire une ville amie des aînés ?
Pierre-Olivier LEFEBVRE : Première règle : la longévité modifie l’équilibre et les rapports entre générations. C’est un défi à relever. Quel que soit notre âge, nous vivons et découvrons un présent et un avenir que les générations qui nous ont précédés n’ont pas vécus et expérimentés. Nous sommes sans tradition de longévité : personne ne nous a transmis une manière éprouvée de vivre ensemble avec cette réalité. Jusqu’à présent chaque génération disait à la suivante : « continue de faire comme moi et adapte ce que tu as reçu au monde qui est le tien ». Aujourd’hui, ni nos parents ni nos grands-parents ne savent ce que nous allons vivre ensemble. Il faut donc inventer aujourd’hui et demain à plusieurs générations.
Deuxième règle : Une ville responsable fait du défi de la longévité une opportunité. En tenant compte de ses contraintes sociale, démographique, économique, certaines immédiates, d’autres à moyen et long terme, mais sans s’y arrêter au point de ne plus pouvoir répondre aux demandes des habitants. Elle doit réfléchir avec eux et surtout les inscrire dans le temps. Personne ne leur a appris comment vivre 25, 30 ou 40 ans après le départ en retraite. Le rôle de la ville, c’est de donner aux habitants la conscience de ce nouveau rapport au temps, et d’affirmer qu’ensemble on a quelque chose à créer et à inventer.
Troisième règle : Passer d’une pensée du nombre d’occupants du logement à la prise en compte des modes de vie des habitants dans la longévité. Les T1 et T2 sont pour les célibataires, quel que soit leur âge ; les T3 pour les couples, les T4 pour les familles, etc. La disponibilité de l’espace est pensée pour les enfants, rarement pour d’autres formes de vie domestiques perçues comme moins stables et moins pérennes : avec des membres de sa famille, des amis ou des aidants professionnels comme dans le cas du handicap, etc. De leur côté, les habitants ou les futurs habitants d’un immeuble et d’un quartier se projettent dans l’espace du logement et du quartier en tenant compte de nombreux critères dont l’accueil de leurs proches, la présence ou pas d’amis. De leur mode de vie réel !
Quatrième règle : Les habitants âgés aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier et moins encore d’avant-hier. Adapter leur logement existant doit se faire, là encore, dans la perspective de la longue durée. Comment intégrer cette perception de la durée à l’échelle individuelle et collective ? Tant que l’habitant pense qu’il n’a pas longtemps à vivre, il n’imagine pas qu’investir dans l’aménagement ou l’adaptation de son logement en vaut la peine. Les territoires ont la responsabilité de l’accompagner dans cette compréhension nouvelle : « en améliorant mon logement, je peux améliorer de manière significative ma vie personnelle et sociale présente et à venir ». Les décideurs politiques doivent sortir des zones de confort qui lient, avec le peu de succès que l’on sait, l’adaptation du logement et la dépendance.
Comment donner à chacun sa place dans les temps et les espaces de la ville contemporaine ?
Pierre-Olivier LEFEBVRE : En construisant dès à présent la perception que les générations ont des choses à apprendre les unes des autres, et qu’il n’y en a pas une qui sait et les autres pas. À ce titre, les Villes amies des aînés ne doivent pas enfermer les personnes âgées dans la transmission du passé. Elles doivent leur proposer de réfléchir le présent et l’avenir pour qu’elles en soient co-auteurs et co-acteurs. Le risque est d’enfermer chaque génération dans « son » temps et d’identifier le fait d’être vieux avec le fait d’appartenir à un temps d’avant, à un passé qui serait révolu. La longévité permet de penser la complémentarité et la coprésence des temps de sa propre vie et de ceux qui vous entourent. Il n’y a que cette conscience fine de la coprésence des temporalités au sein d’un temps partagé qui peut permettre à chacun de trouver une place dans son quartier et sa ville. La collectivité et l’individu doivent acquérir cette conscience fine pour offrir des lieux et des repères pour tous afin que les habitants se disent : « je suis à ma place avec mon âge dans ce qui est proposé au niveau culturel, associatif ou de l’aménagement de l’espace public ». Les physioparcs (http://www.physio-parc.com) créés à Lyon en sont une belle illustration. Au coeur d’un parc, par essence intergénérationnel, les équipements permettent à tous les âges de poursuivre
une activité à leur mesure et leurs capacités. Ils reconnaissent à chacun un rôle et une place. Ce type d’initiative permet de vivre ensemble. Si la collectivité peut tresser les temps de la vie au sein de l’espace-temps de la ville, alors même centenaire on sera toujours de son temps.
Il y a donc un important enjeu de conscientisation et d’éducation de toutes les générations en présence, et sur d’autres registres que ceux que nous avons connus jusqu’alors (transmission, partage de compétences, etc.).
Pierre-Olivier LEFEBVRE : Conscientisation et éducation ne sont possibles que si les cultures et les compétences des âges ne sont pas opposées les unes aux autres. L’exemple des compétences est parlant : si autrefois la transmission des compétences techniques avait un sens, leur obsolescence rapide aujourd’hui n’en fait plus un enjeu aussi central. Or, un technicien qui part en retraite est rapidement « hors-jeu » par rapport à l’évolution technologique. Le conforter dans ce qu’il connaissait et savait faire techniquement, c’est prendre le risque de le mettre en fragilité. En revanche, lui demander de transmettre des repères de valeur d’être et relationnels, lui demander de la disponibilité temporelle pour accompagner un collègue ou un projet, c’est plus intéressant pour l’entreprise et la société. Le rôle d’une collectivité est d’organiser sur un territoire donné la place de chacun avec ce qu’il a à apporter. Et ce qui est essentiel pour que les âges se rencontrent, c’est de penser la réciprocité.
Quel serait le portrait-robot d’une ville amie des aînés à la française ?
Pierre-Olivier LEFEBVRE : C’est une ville qui accepte de passer d’une société de la compensation à une société qui génère des dispositifs collectifs pensés sur l’horizon non pas d’un « je fais pour tous », anonyme et désincarné, mais d’un « je fais pour chacun ». C’est se mettre dans une attitude d’une extrême vigilance, d’une extrême attention, d’une extrême bienveillance. Quel que soit l’équipement pensé (tramway, jardin public, ensemble de logements, quartier), la collectivité est en capacité de se poser de manière transversale deux questions : « cet équipement est-il pensé pour chacune des générations, y compris celles qui vont rentrer dans la fragilité ? », et «vont-elles s’y reconnaître sans se dire que c’est bien pensé pour leur état de vieillissement ? ». Ce portrait-robot est bien sûr idéologique, au sens où il défend une vision du vivre ensemble et des solutions à mettre en oeuvre, mais il me semble que c’est la seule façon de changer les repères actuels qui nous brident. La question de l’avancée en âge ne peut plus être réservée à l’action sociale, au sanitaire, au médico-social. Nous en sommes tous coresponsables. C’est pourquoi les huit thèmes Villes amies des aînés vont de l’environnement social à de l’environnement bâti, en passant par la communication, la culture, la mobilité, l’intergénération. Penser la ville de cette façon-là, c’est en renouveler profondément les modes de fonctionnement et la manière dont les habitants y sont associés.
Françoise RIVOIRE : Pour un élu, la démarche Villes amies des ainés est complexe à mettre en place de manière concrète. Il faut d’abord partager le concept avec l’ensemble des élus. Certes, la plupart d’entre eux partagent la conviction de la nécessité d’adapter la ville à tous et à toutes les fragilités, quelles qu’elles soient. Mais pour passer de cette conviction à sa concrétisation, il faudrait que nous nous remettions collectivement en cause pour travailler de façon plus transversale. Or, le cloisonnement des domaines de compétences et des services rend très difficile d’apporter sa thématique à l’élu qui aménage les jardins, la voirie, etc. Parvenir à avoir une pensée globale pour que tous les habitants puissent vivre leur ville semble parfois un objectif peu réalisable.
Pierre-Olivier LEFEBVRE : Pour beaucoup d’élus, le vieux c’est encore l’autre, celui qui est plus âgé (et parfois celui qui est du même âge). Il ne faut pas se cacher que c’est très souvent le rapport individuel à son propre vieillissement qui décide de l’orientation favorable ou défavorable à la longévité de la politique publique. Et tant que les élus auront une perception négative de l’âge, ils repousseront loin d’eux la question du vieillissement. Pourtant si vieillir peut être difficile et angoissant, ce n’est pas une malédiction.
Vous avez déjà diffusé dans le cadre de la mairie du 7ème arrondissement les deux premiers volets de « J’y suis, j’y reste ! » Quel regard portez-vous sur la recherche et sur LEROY MERLIN qui la porte ?
Françoise RIVOIRE : C’est tout d’abord un magnifique travail de recherche qui sous la forme des documentaires a remporté un beau succès lors des premières projections lyonnaises, autant auprès des personnes retraitées que des professionnels. Les projections ont
permis d’éveiller les consciences de nos aînés qui se disent alors : « si je me retrouve dans la même situation que les témoins du triptyque, comment vais-je faire ? ». Notre enjeu est vraiment de leur permettre de se poser les bonnes questions en amont des situations d’urgence et de crise. Nous utilisons donc les résultats de cette recherche dans le cadre de la prévention. Les personnes
nous disent : « c’est peut-être maintenant qu’il faut que je réfléchisse à ce que je vais faire plus tard, et comment je vais aménager mon chez-moi. Est-ce que je reste ici ? Est-ce que je vais ailleurs ? Mais si je reste chez moi, il y a peut-être des choses à faire à un moment où je suis en mesure de le faire, et je ne dois pas attendre trop longtemps ». Le travail de Leroy Merlin Source montre bien que, acteurs privés et acteurs publics, nous avons des rôles différents à jouer mais de manière complémentaire. Leroy Merlin, en tant qu’entreprise privée, apporte sa contribution sur un sujet national et pour tout le monde. Et il est intéressant de pouvoir partager ces choses-là et de les cultiver à l’extérieur. Les débats qui suivent chaque projection nous prouvent bien que le thème, la manière de le traiter et d’y apporter des éclairages informent et questionnent les gens. Et ce n’est pas parce que c’est une entreprise privée qui porte ces questions qu’elles ne se posent pas. Elles s’imposent à nous de façon collective.
Pierre-Olivier LEFEBVRE : Je vais ajouter un grain de sel ! L’expression « J’y suis, j’y reste ! » induit quelque chose dont on a assez peu parlé : le droit au choix et le droit au risque. Et trop souvent en disant ou en se disant : « attention, on devient fragile », la réponse est : « alors il faut faire attention, il faut davantage de sécurité ». Or, la recherche nous dit que le plus important, pour les personnes, est de continuer à trouver son compte dans l’avancée en âge. Elles souhaitent continuer à affirmer leurs choix, à prendre des risques, y compris dans leur fragilité. C’est un aspect essentiel à prendre en compte pour progresser sur la compréhension réelle des manières d’habiter dans une société plus vieille que celle d’avant.
Propos recueillis par Pascal Dreyer, juillet-septembre 2018