Entretien avec Muriel Boulmier
Directrice générale du groupe Ciliopée (habitat social en Lot-et-Garonne), Muriel Boulmier est l’auteure de deux rapports de missions ministérielles, L’adaptation de l’habitat au défi de l’évolution démographique (octobre 2009) et Bien vieillir à domicile (juin 2010), qui ont fait date. Elle revient sur leurs principaux enseignements.
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Pourquoi l’habitat et ses aménagements en lien avec l’avancée en âge deviennent-ils un enjeu majeur des politiques publiques de l’habitat ?
C’est d’abord une réponse à l’aspiration des familles, celle du maintien à domicile. C’est plus qu’une aspiration, c’est une réalité : 90% des plus de 90 ans vivent encore à leur domicile, de même qu’un centenaire sur deux. C’est ensuite un élément de réponse essentiel au grand débat français et européen sur la dépendance : cela concerne aujourd’hui 7% des plus de 60 ans, souffrant de la maladie d’Alzheimer pour la plupart. Dans bien des cas, la dépendance est compatible avec le maintien à domicile, à condition d’assurer une prévention, notamment des accidents domestiques. Il faut donc travailler aux aménagements apportant de la sécurité, qui permettent le maintien à domicile, même si, à terme, les personnes concernées devront vivre dans des établissements dédiés. La prévention – adaptation de l’habitat coûte beaucoup moins cher que ces établissements dédiés, tout en répondant aux aspirations des familles et des personnes.
Quelle est la priorité aujourd’hui ?
On a d’abord besoin d’une prise de conscience collective. En 1950, la retraite était à 65 ans, l’espérance de vie à moins de 63 ans : sans commentaire. Aujourd’hui, entre la retraite (peu après 60 ans) et l’espérance de vie (entre 84 et 88 ans), une nouvelle génération intermédiaire est apparue, avec 3 âges à distinguer :
– les 60 – 75 ans, seniors actifs
– les 75 – 85 ans, avec l’apparition de quelques handicaps
– les plus de 85 ans, pour lesquels statistiquement les effets de la dépendance sont visibles.
La progression du vieillissement en bonne santé repousse très loin l’âge de la vieillesse et de la dépendance. Comment accompagner la nouvelle génération intermédiaire, qui vit à domicile ? Elle n’est pas correctement traitée, faute d’une prise en compte collective. Prenons un exemple simple, celui des passeports vieillesse, des cartes de réduction : ils s’ouvrent à 60 ou 65 ans. Ne faudrait-il par faire bouger ces curseurs là ? Il faut une prise de conscience collective, pour légitimer une véritable politique publique dans ce domaine.
Quelles préconisations faites-vous pour cet accompagnement ?
Au-delà de la reconnaissance de cette tranche d’âge, en termes d’habitat il faut mobiliser trois groupes d’acteurs :
– ceux du logement
– ceux des espaces partagés, les parties communes des immeubles en ville notamment
– les acteurs de l’espace public.
Nous n’arrivons pas pour l’heure à organiser la fluidité entre ces trois espaces, ce qui est pourtant la condition de l’autonomie. Nous n’avons pas la maturité collective pour accepter les personnes âgées dans l’espace public. Les trottoirs par exemple ne sont pas faits pour des personnes avec des déambulateurs. Et regardons où sont construits les Ehpad (Etablissements d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes), le plus souvent aux limites de la ville. Bref on ne veut pas voir certains groupes de population.
Et venons-en au logement lui-même : il faut apprendre et intégrer d’abord des petites adaptations simples (la sonnette lumineuse, les revêtements anti-dérapants…). On aura gagné quand des personnes âgées, sans complexe, iront choisir chez Leroy Merlin des barres d’appui de couleurs harmonisées avec la tapisserie !
Quels savoir-faire faut-il développer ?
Là aussi, cassons vite le malentendu : vieillir n’est ni une maladie ni un handicap ! Un programme de recherche américain met des personnes adultes en situation de mobilité altérée, en utilisant des combinaisons par exemple, pour brider leurs mouvements et simuler les effets du vieillissement. L’objectif est d’imaginer des produits de consommation courante adaptés, et diffusables dans la grande distribution. On vise bien ici le domicile, non l’univers thérapeutique. Avant de considérer les questions médico-sociales, il faut travailler sur l’accompagnement au vieillissement dans les actes de la vie quotidienne, y compris en y intégrant les services à la personne.
Propos recueillis par Denis Bernadet