Autonomie Au balcon avec papa
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Au balcon avec papa

Accompagner un proche âgé en temps de confinement


Entretien

Eric Baudet est reporter-photographe. Lors du premier confinement, d’avril à mai 2020, il est venu rendre visite à son père, un jour sur deux, dans la résidence service, Les Jardins de Diane, à Bagnoles de L’Orne-Normandie, où il vit depuis le décès de son épouse. Comment Maurice, âgé de 87 ans et souffrant de la maladie d’Alzheimer, allait-il comprendre et supporter le confinement, le risque ? Comment continuer à se voir dans cette période incertaine ? Les visites étant interdites dans l’établissement, il a rencontré son père au pied du balcon de son appartement, seul ou parfois avec ses filles. De ces moments si difficiles et si précieux, nourris par le désir de rester en relation et de se voir, Eric Baudet a tiré un livre, sensible et clair, Au balcon avec papa (les éditions du petit oiseau, L’Aigle, 2020).  

Quel regard rétrospectif portez-vous sur cette expérience relationnelle à travers le regard et l’objectif ? 

Je crois que c’était la bonne idée à avoir à ce moment-là. Je lisais alors beaucoup la presse, j’étais avide d’informations sur la Covid, le confinement. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui ! Je m’étais dit que je pouvais réaliser un documentaire qui pouvait intéresser les gens. Mais c’était aussi une gageure. Bien que reporter-photographe durant vingt-cinq ans, je n’avais jamais vraiment photographié mes parents. Ma mère est décédée il y a un an et demi. Et j’ai décidé de placer mon père dans cette résidence. Rester en relation et mener ce travail photographique a été tout à la fois une épreuve et l’occasion d’un rapprochement très fort avec lui. 

Votre père était-il d’accord avec votre démarche ? 

Je n’aurai jamais fait ce travail sans son accord bien sûr. Mais je n’ai pas non plus réfléchi de manière spécifique à la question de la représentation des personnes âgées. J’avais le désir de le mettre en valeur et de ne pas restituer des situations dans lesquelles il aurait été en difficulté. Et il y en a bien sûr. J’ai travaillé de manière classique autour de la construction d’un récit photographique, ce qui est pour moi la priorité dans mon travail. 

Depuis la publication du livre, continuez-vous à prendre des images la vie de votre père ?

Depuis novembre 2020 je ne fais plus d’images. Mon père n’est pas très en forme et les situations que nous vivons sont maintenant répétitives. J’écoute aussi ses souhaits même s’il ne les formule pas explicitement. Nous n’en avons pas vraiment parlé, mais je ne viens plus le voir avec mon appareil photo. Je suis certain que si je lui demandais de le photographier maintenant, il trouverait cela lourd, pénible. Car depuis octobre les protocoles sont restés les mêmes : masques, plexiglas, interdiction de le rencontrer dans son appartement.  

Comment va votre père aujourd’hui ? 

L’hiver est une saison compliquée pour les personnes âgées. Il n’a pas le moral. Le temps ne se prête pas aux sorties extérieures et il avait l’habitude de beaucoup marcher. Il reçoit moins de visites. Il ressent fortement le manque de sa femme. Je lui rends visite une fois par semaine et l’appelle tous les soirs. Il a souffert de ne pas fêter Noël avec nous. Nous avons pris cette décision pour lui éviter d’être condamné à un confinement de sept jours dans son appartement. Il a pu voir ses trois petites-filles à l’occasion des vacances de février. Mais cela ne lui pas fait autant plaisir que je l’espérais. Dans le contexte actuel, il perd encore plus goût à la vie. Et cela m’affecte.

Lors du second confinement de 2020 aviez-vous prévu de continuer votre travail photographique autrement ? 

J’avais imaginé faire un reportage auprès des personnels. Je trouvais que cela constituait un pendant intéressant à mon travail avec mon père. Malgré la confiance qu’ils avaient en moi, ils ont refusé. Ils ont eu très peur de l’introduction du virus par un tiers extérieur au monde du soin. Et de la responsabilité dont ils seraient chargés. Je les comprends. 

Quel a été l’impact de la publication du livre dans l’établissement ? 

Si la direction et le personnel ont été surpris au départ, ils ont rapidement adhéré au projet. Ils ont été très fiers des nombreuses publications dans la presse nationale des images de mon père qui citaient l’établissement de manière positive. J’ai été le seul proche à faire des photographies de cette manière. Certaines familles ont été très contentes de ma démarche et ont acquis l’ouvrage à sa sortie. Le 29 mars prochain, pour « fêter » l’anniversaire du premier confinement, j’organise une petite exposition de trente photographies dans l’établissement. J’ai aussi prévu de venir parler avec les personnes résidentes et les personnels de mon métier de photographe.

Pour se procurer l’ouvrage :  baudeteric@wanadoo.fr 

Propos recueillis par Pascal Dreyer, février 2021

 

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