Les grands travaux de l'habitat : penser le logement d’aujourd’hui depuis 1989
L’ouvrage Habitat est disponible : cette recherche interroge les évolutions de l’architecture urbaine depuis 1989 de la France, à l’Algérie et l’Inde. Que s’est-il passé dans l’ombre des grands travaux « mitterandiens » ? Nous avons posé trois questions à son coordinateur Sabri Bendimérad, architecte et correspondant LEROY MERLIN Source.
Pourquoi 1989 et le « hors-champ des grands travaux » ?
« Il faut d’abord rappeler le contexte. 1989 est une année très importante dans l’histoire du temps présent. Elle a été marquée par des bouleversements politiques à l’échelle mondiale. C’est aussi l’année de ce que l’on appelle les « grands travaux » présidentiels. La Pyramide du Louvre, l’Opéra Bastille, la Bibliothèque de France, l’Arche de la Défense… Des édifices publics que tout le monde connait. Qui ont fait l’histoire et façonné le paysage de Paris. Et qui l’ont marqué d’une trace tangible de l’action présidentielle. D’autres projets et travaux d’architecture, moins spectaculaires, ont été menés à cette période, dans le domaine de l’urbanisme et de l’habitat. C’est ce que nous avons appelé le « hors-champ » de l’architecture officielle. Les différentes contributions du livre Habitat analysent ces expériences passionnantes. Moins médiatisées, elles ont néanmoins aussi contribué à l’histoire de l’architecture urbaine. »
Que retenir des trente années qui viennent de s’écouler dans le domaine de l’habitat ?
« C’est un bilan contrasté. Il y a à la fois l’inventivité et l’audace d’architectes et promoteurs pour renouveler l’architecture du logement. Et l’adapter à la très grande diversification des modes de vie et des structures familiales. Mais cette inventivité et cette recherche de variété n’a pas complètement infusé une production plus courante de logements collectifs. Elle reste, aujourd’hui encore, attachée à des vieux principes de conception hérités de la fin des années 50. D’autre part, dans les secteurs tendus, certaines enquêtes montrent que dans le collectif, le logement neuf a perdu en qualité et en surface. Il faut toutefois nuancer ce bilan négatif. Et prendre en considération la hausse du standard de confort acoustique et thermique depuis la fin des années 80. Ainsi que la baisse moyenne de la taille des opérations qui ont amené les architectes et promoteurs à travailler plus en finesse le rapport des bâtiments à la ville. »
Que va devenir l’habitat dans le monde d’incertitude qui s’ouvre à nous ?
« La pandémie mais aussi les autres crises confèrent plus que jamais à l’habitat et au logement une valeur de refuge. On semblait l’avoir oubliée. Et pourtant elle fonde le rapport de l’humanité à l’espace tout autant que son aspiration à voyager, à se déplacer, à commercer au sens premier du terme. Pour être durable, l’architecture urbaine de demain devra être plus adaptable, plus transformable, plus malléable en quelque sorte. Elle devra intégrer davantage les espaces de travail, être en phase avec les enjeux environnementaux tout en offrant des espaces de convivialité et d’intimité. Offrir plus de liberté au sens large aux habitants des logements de demain s’avère nécessaire si l’on considère le bien-être comme une valeur essentielle. Il est frappant de constater que ces qualités attendues pour le logement contemporain étaient déjà brillamment illustrées et défendues dans les concours d’innovation il y a plus de trente ans. Et dans une période qui annonçait paradoxalement la fin des utopies et de l’histoire. Pourtant, ces qualités restent encore parfaitement valables pour penser le logement de demain. »
Recherche sur l’architecture urbaine : une exposition en ligne
Les travaux de recherche de l’équipe du laboratoire Architecture, culture, société, XIXème-XXIème siècles, Ensa Paris-Malaquais sont aussi présentés en exposition virtuelle. Son nom ? « Les « grands travaux » de l’habitat : 1989, hors-champ de l’architecture officielle ». Sabri Bendimérad en assure le commissariat scientifique avec Jordana Maisian, architecte, docteure en architecture et chercheure associée. On y retrouvera l’essentiel de la recherche et des vidéos d’entretien avec les acteurs des projets menés durant la période étudiée.
Sabri Bendimérad est architecte et maître de conférence Ensa Paris-Belleville et chercheur au laboratoire ACS, Ensa Paris-Malaquais.
Propos recueillis par Pascal Dreyer.