Vendre, acheter, construire : une traversée aventureuse et singulière
Vendre, acheter, construire : c’est l’intitulé de la thèse de sociologie et d’anthropologie autour de la question de l’achat sur plan soutenue par Luisa Salieri en octobre 2022. Elle y développe une approche ethnographique du processus de réalisation des maisons individuelles sur plan. Au sein de l’un des principaux constructeurs de maisons individuelles en France, la doctorante a pu suivre des familles accédantes sur le temps long de leur projet personnel. Mais elle a aussi pu interroger les professionnels qui les accompagnent, commerciaux et conducteurs de travaux. Pour Leroy Merlin Source, elle synthétise les points clés de sa thèse dans la course d’obstacles que constitue l’achat sur plan d’une maison neuve.
Achat sur plan : un tempo qui échappe aux familles
Avant d’être en situation de s’approprier un chez-soi, les acquéreurs d’une maison individuelle sur plan doivent supporter le temps long du projet. Dans une alternance de décisions rapides et périodes creuses. « Les ménages ne sont pas maîtres du temps, tout au long de la construction. Les familles n’ont une maîtrise du temps qu’au tout début, au moment de la conception du projet avec un commercial. Et même à ce moment-là, les vendeurs peuvent utiliser des arguments tels que la tension sur le foncier et la nécessité de se positionner rapidement pour accéder à un terrain, afin d’accélérer leur prise de décision. Puis, après la signature du contrat de construction, les institutions publiques et les banques deviennent les « donneurs du temps » du projet. En fonction de leurs propres délais de production du permis de construire et d’acceptation du crédit. Ensuite, au moment de la réalisation des travaux, ce sont plutôt les professionnels du chantier, qui vont pouvoir faire avancer le travail en fonction de leurs agendas, de leurs disponibilités. Ainsi, durant cette phase, ce sont les conducteurs de travaux qui vont donner le tempo. Durant tout ce processus, les familles ne maîtrisent pas le temps d’avancement du projet et elles vivent des longues phases d’attente. »
La difficulté de se projeter quand on fait construire
Les familles tentent d’imaginer un futur logement qui reste longtemps abstrait en amont de l’emménagement. Car il est difficile pour beaucoup de se projeter sur un plan puis sur un chantier en cours. « Ils ont une première perception à partir du plan. Pour certaines familles c’est difficile de s’y projeter, de se représenter les espaces dont elles vont disposer. Ensuite c’est un parcours chaotique. Au moment où les fondations sont posées, on compare la taille des fondations à celle de la parcelle, et on se désole de l’impression que la maison sera toute petite. Puis quand on élève les murs. On a l’impression qu’elle va être grande parce qu’il n’y a pas encore les cloisons. Quand on pose les cloisons, on se figure la taille de la chambre ou de la salle de bain, ça devient plus appréhendable. Mais quand on pose les meubles, là on se rend vraiment compte de l’encombrement des objets. Et la perception des espaces évolue encore une fois. »
Achat sur plan : une relation mouvante entre familles et professionnels
La docteure en sociologie s’est aussi penchée sur les relations entre les familles qui se lancent dans un achat sur plan et les professionnels. Une relation entre confiance et tensions. « Au moment de la conception d’un projet de construction, les familles clientes tentent de vérifier si elles peuvent faire confiance à leurs interlocuteurs, dont elles essayent de vérifier la fiabilité. Comme les vendeurs le savent, ils vont soigner leur tenue, être ponctuels, pédagogues (…). Les familles s’accrochent à ces indices pour pouvoir établir la fiabilité du vendeur à qui elles ont affaire. Tout en étant conscientes qu’elles n’ont pas la possibilité d’évaluer les bons indices : sa compétence, ses connaissances et son honnêteté. Comme les familles savent bien que le vendeur est en train de tenter de se présenter de la manière la plus conforme à leurs attentes, elles vont essayer de déjouer cette mise en scène, en pointant certains manques de compétence chez leur interlocuteur ou en mettant en évidence les intérêts économiques qu’il tente de dissimuler. »
Achat sur plan : entre standardisation et personnalisation
Luisa Salieri démêle ce qui relève du standard de la maison dessinée par l’entreprise, des adaptations dues aux contraintes techniques. Notamment celle du terrain, et de la volonté de toute famille de singulariser son projet. Le constructeur de maisons individuelles avait pour ambition de mener de front standardisation du bâti et personnalisation du projet. Mais elle en conclut que c’est presque impossible : « Quand j’ai commencé ma thèse, je n’imaginais pas le nombre de variations qui peuvent être introduites au cours de la réalisation de ces maisons « standardisées ». J’ai identifié deux raisons à cela, la première est bien sûr la singularité des acheteurs (…). Il y a des exigences de personnalisation qui vont avec le fait de faire construire. Et l’autre raison majeure, c’est l’extrême variété des terrains, jamais identiques. Comme il y a trop de variabilité, la question du terrain est restée un impensé au moment de la conception des innovations (…). Pour ces deux raisons, les maisons ne sont jamais identiques et encore moins parachevées comme des voitures. »