Thermorégulation et aménagement organo-climatiques
À l’ère de l’Anthropocène, l’amélioration thermique des bâtiments représente un enjeu climatique crucial. Sensibilisés ou non à ces enjeux, les habitants souhaitent maîtriser leur consommation d’énergie. Que ce soit pour des raisons économiques ou environnementales. Dans cette recherche-action Lucile Sauzet, designer, et Camille Arnodin, ethnologue, nous proposent un pas de côté. Et d’envisager de manière nouvelle le confort thermique. Comment ? En s’appuyant sur les savoirs expérientiels et corporels des habitants. Mais aussi sur leur connaissance de leur logement et la mise en œuvre de solutions à l’échelle du corps et des activités.
Habiter, un projet de vie pas une quête d’amélioration thermique
Les solutions efficaces d’amélioration thermique du logement ? Elles se présentent essentiellement aujourd’hui à l’échelle du bâti par la construction, la rénovation énergétique et le renouvellement de modes ou d’installations de chauffage. Or ces démarches ne sont pas toujours accessibles. Comme l’a montré Denis Bernadet, la massification de la rénovation énergétique des logements se heurte au chez-soi. Changer de chauffage ou isoler les combles d’une maison demande en effet du temps et des ressources financières importantes, malgré la possibilité d’aides publiques. Et ces actions apportent de faibles gains d’usage et de confort dans le quotidien des propriétaires.
D’ailleurs le bilan des dispositifs d’incitation à la rénovation énergétique en fait le constat. Les habitants privilégient encore l’aménagement d’une extension ou d’une nouvelle cuisine plutôt que des travaux de rénovation thermique. Ce n’est que dans le meilleur cas qu’ils groupent les deux. Les arguments écologiques et économiques sous-tendant une approche rationnelle technique, sur un temps long, ne suffisent donc pas pour convaincre de nombreux foyers à investir dans des transformations qui visent à réduire leur consommation énergétique.
De la performance énergétique au confort corporel et à un nouvel art de vivre
La recherche “Le confort thermique à l’ère de l’anthropocène” fait l’hypothèse suivante : la rénovation énergétique et la transformation des usages quotidiens s’envisageraient-elles mieux dès lors qu’y prennent part une perspective d’amélioration du confort et de l’art de vivre ? Pour cela, les professionnels de l’habitat et les habitants doivent apporter au sein du logement de nouveaux imaginaires. Créer ensemble de nouveaux usages. Si ceux-ci sont en adéquation avec les modes de vie, les valeurs et les esthétiques contemporaines, leur adoption ne sera plus perçue comme un effort et une contrainte, mais comme un engagement désirable.
Une recherche-action nourrie par une expérimentation concrète
Cette recherche-action a été menée avec les outils de conception, d’observation et d’analyse du design et d’observation participante, d’entretien et d’analyse de l’ethnologie. Lucile Sauzet et Camile Arnodin ont élaboré une méthodologie basée sur l’écoute et la prise en compte des besoins des habitants. Ainsi que sur la création sensible et située et l’expérimentation in situ. Lors de cette recherche à visée transformative, elles ont créé et expérimenté des aménagements intérieurs dénommés « aménagements organo-climatiques ». Quatre familles se sont prêtées à l’exercice de cette démarche qualitative et collaborative, sur deux saisons.
La démarche a consisté à intervenir, sans travaux, dans la perspective d’un confort sobre et soutenable propre à chaque foyer. Elle s’appuie sur :
- la considération de l’habiter, soit les pratiques et habitudes individuelles et collectives au sein du logement.
- la place, les mouvements et les activités des habitants dans le logement.
- le lien avec les saisons et les évolutions climatiques.
- le diagnostic des usages et le design à partir des ressentis corporels et émotionnels.
- des modifications plus ou moins conséquentes de l’espace et des objets existants.
- la création d’aménagements organo-climatiques sur mesure.
Chaque famille a ainsi pu tester sur une saison plusieurs aménagements organo-climatiques. Que ce soit pour se rafraîchir (été) ou se réchauffer (hiver) sans mobilisation de la climatisation ou d’un système de chauffage central.
Ce que cette recherche nous apprend
Les résultats décrivent donc les apprentissages de l’équipe et des habitants en terme de solutions concrètes de thermorégulation au cours des deux saisons. Ils détaillent aussi la manière d’interagir avec les habitants pour accompagner l’appropriation de nouveaux gestes, les aménagements et produire des changements d’habitudes et de pratiques. Les retours, analyses et critiques des habitants ont permis de confirmer l’hypothèse de départ et de définir les critères d’une sobriété désirable.
Ces résultats positionnent par ailleurs les « aménagements organo-climatiques » comme des solutions satisfaisantes :
- uniques en été,
- complémentaires au chauffage central en hiver.
En été, il est possible d’envisager de réduire l’utilisation massive d’appareils type climatiseurs. En hiver, le chauffage central devient un socle soutenant les besoins minimaux et ajusté par des solutions locales et ponctuelles. S’offre alors la possibilité de concevoir un service associé à des solutions matérielles. Il pourrait s’agir, par exemple, d’une gamme de semi-produits, personnalisables et adaptables aux besoins spécifiques de thermorégulation de chaque habitant selon les pièces du logement et les activités réalisées.
Une série de questions nouvelles autour de l’amélioration thermique
La recherche-action fait la démonstration que l’association du design et des sciences sociales, en plaçant l’individu et sa relation au monde au centre de la conception d’un service, peut nous outiller stratégiquement et opérationnellement pour les transitions à venir. Des stratégies de rénovation pilotées par les besoins (physiologiques, sociaux et symboliques) des habitants seraient-elles plus attractives et mobilisatrices que les seules normes, réglementations et incitations financières ?
La recherche-action montre également que les matières naturelles et plus particulièrement les matières molles, comme le textile et la mousse végétale, sont pertinentes dans la régulation thermique des logements. Particulièrement quand celle-ci est abordée à partir des usages et de l’aménagement intérieur. Une production locale et à échelle humaine d’aménagements organo-climatiques correspondrait aux attentes des habitants en termes de qualités esthétiques et techniques, mais aussi d’éthique (made in France). Cette production pourrait être déployée localement, à l’échelle d’un territoire. Et prenant ainsi en compte les spécificités culturelles et climatiques du lieu et la disponibilité des matériaux. Cette production ne pourrait-elle être un moyen pour consolider (voir de recréer) des filières de matériaux locaux et biosourcés (tels que laine, lin, chanvre, crin végétal, bois…) au service d’une économie circulaire vertueuse ?
Les habitants écoutés et encapacités par leur participation à cette recherche-action, transposent les savoirs acquis, en expériences réflexives, individuelles et collectives. Ils vont même jusqu’à entreprendre eux-mêmes la transformation de leur habitat. Comment donner accès de manière plus large à une expérience sensible, apprenante, mobilisatrice et transformatrice ? Sans pour autant imposer la prestation d’une équipe ethno-design pour chaque habitat ?
Enfin, dans une perspective de massification des réponses à apporter dans le contexte de crise actuel, est-il pertinent d’appréhender le confort thermorégulé à l’échelle de l’habitat collectif ? En relation avec les communs (extérieurs et intérieurs) ?