Architecture & urbanisme Architecture Retour sur la Biennale de l’architecture de Venise, 2016
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Retour sur la Biennale de l'architecture de Venise, 2016

Reporting from the front / Nouvelles du front


Reportage

Un commissaire de renommée

Le début du XXIème siècle est le théâtre permanent de guerres économiques, sociales, culturelles, militaires, intra ou internationales, d’une intensité sans précédent. Et les raisons d’espérer se font de plus en plus minces. Placée sous le commissariat d’Alejandro Aravena, Pritzker Price 2015, la 15me édition de la biennale d’architecture de Venise prend acte de cette réalité. Et s’ouvre sur un constat cruel mais juste : le fossé qui s’est creusé entre l’architecture, les architectes et la société civile. Mais au lieu de faire de ce constat le thème d’une longue déploration, Alejandro Aravena et la biennale proposent dans les deux lieux phares que sont les Giardini et l’Arsenale à la fois une réflexion approfondie sur cet état du monde et des raisons d’espérer. Ils montrent à l’aide d’exemples positifs qu’une nouvelle solidarité, positive, est possible entre architectes et société civile. Les architectes nous disent qu’ils sont en première ligne. Du refus du geste architectural spectaculaire à la prise en compte des traditions vernaculaires. Des enjeux énergétiques à la réponse aux besoins sociaux. De la construction d’une seule maison à la projection des mégalopoles de demain. Mais quelle guerre mènent-ils ? Que voient-ils ? Que font-ils avec ou sans les habitants ? Avec qui veulent-ils travailler ? Que proposent-ils aux hommes dans un monde de transitions qui évoque à beaucoup l’entrée dans le temps du Moyen Age ?

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Nouvelles du front

Nouvelles du front est un projet ambitieux. Et le résultat est finalement assez éclairant sur les enjeux et les limites que rencontrent les architectes dans un monde mouvant, incertain. Un monde dans lequel il ne faut pas se tromper de guerre. Les gestes spectaculaires, intimidants et totalitaires de l’architecture riche des mégalopoles et leurs idéaux d’habiter « universels » n’ont pas droit de cité pour quelques semaines à Venise. La déambulation dans les pavillons met donc le spectateur en contact avec des conceptions de l’habitat et des modes d’habiter dans lesquels les habitants, leurs croyances et les conditions concrètes dans lesquelles ils vivent sont déterminantes. De la pauvreté des favelas aux green zones d’urgence de l’ONU en Afrique (BLUE: Architecture of Peacekeeping Missions, pavillon des Pays-Bas), des urbanisations temporaires liées à des festivals religieux immenses, des événements éphémères (Ephemeral cities) aux habitats temporaires des catastrophes naturelles. Autant de manières de penser la ville mais surtout l’homme, ses besoins, ses attentes, ses désirs d’habiter. De cette diversité et de ces juxtapositions qui ne valent pas comparaison mais complémentarité naissent une créativité du regard réjouissante et une envie d’architecture neuve et fraîche. Pour un néophyte donc, pas d’architectes stars ni de projets pharaoniques. Mais des centaines de projets et d’expériences inspirants. Conduits par des architectes avec des habitants, des collectifs d’habitants et des territoires. Pour ce qui concerne les projets pharaoniques, on mettra ici à part les projets des pavillons russe et américain qui lorgnent vers le passé. Le pavillon russe se tourne vers l’ère soviétique avec la restauration à la Viollet-le-Duc du célèbre Parc des expositions des réalisations de l’économie nationale de Moscou (VDNKh). Le pavillon américain lui digère Hollywood et le style Barbarella pour inventer le Detroit de demain avec The architectural imagination.

3 axes de réflexion et de travail

De manière très générale, cette 15ème biennale valorise trois axes de réflexion et de travail. L’action locale et la participation ou contribution des habitants aux projets de logements et d’urbanisme. La qualité de l’architecture dans la perspective d’un mieux habiter et d’un soutien aux liens sociaux. Et le non fini / non construit comme réponse aux effets de la crise immobilière de 2008. Et seule attitude susceptible de s’adapter aux changements en cours et à des contextes complexes, violents ou de taille gigantesque.

Pavillon de Chine

Amateur Architecture Studio refuse l’architecture de la mégalopole et tente d’apporter des réponses à l’échelle humaine. L’architecture Lu Wenyu explique ainsi son double choix de travailler là où son studio est installé (Hangzou). Et à partir de l’architecture vernaculaire et de son vocabulaire. Il ne s’agit pas de refuser la modernité mais bien d’ancrer les réalisations architecturales dans des réalités historiques, sociales, humaines dont le bâtiment doit tenir compte pour être approprié et utile. Le projet de musée présenté à la biennale est exemplaire de cette démarche. Il inclut les repères architecturaux de son territoire ainsi que les habitants et les ouvriers du chantier. http://www.chinese-architects.com/en/amateur

Pavillon de Singapour : At the home front / Space to imagine, room for every one

Le pavillon de Singapour propose une réflexion presque woolfienne sur la notion de chez-soi et de lieu à soi. Posséder un lieu à soi est le grand front de la guerre que livre les habitants au quotidien. Qu’est-ce que le chez-soi ? Comment les habitants y vivent-ils ? Comment font-ils avec l’espace qui manque ? Comment en prennent-ils soin ? Comment luttent-ils contre l’usure inévitable des choses ? L’installation poétique de pavés de verre descendant du plafond. Dans ceux-ci se cache la photo d’un intérieur et permet de découvrir sans voyeurisme excessif des lieux de vie où la présence humaine se distingue à contre-jour ou dans l’arrangement des objets.  Des films dévoilent l’intimité des gestes quotidiens inlassablement répétés. Comme celui du passage de l’aspirateur à toutes les heures du jour ou de la nuit. On reste là, immobile, fasciné par les gestes d’un autre si loin, qui ressemblent aux nôtres et s’en distinguent radicalement. Plaisir du dépaysement et de la reconnaissance d’un même partageable. Dans ce lieu à soi, l’humanité se dévoile.

www.roomforeveryone.sg

 

Losing my selfLosing_Myself_Biennale_Venise

Sans être très incarné dans des projets concrets de grande ampleur, le vieillissement de la population mondiale est bien présent. Avec de nombreux pavillons qui en prennent la mesure à travers chiffres et schémas. Mais aussi dans la présentation d’expérience de jeunes professionnels (souvent artistes ou designers) qui investissent des quartiers vieillissant pour en améliorer la qualité de vie. Le pavillon irlandais tranche donc fortement avec ces approches classiques et consensuelles. Il propose une installation sonore et émouvante de voix de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, de proches et de soignants. Ces voix accompagnent 16 leçons destinées aux architectes qui veulent construire, rénover ou accompagner par l’architecture les lieux de vie de ces patients. Des lieux de vie qui ne prennent sens qu’en se construisant à l’échelle de la personne et de son entourage.

www.losingmyself.ie

 

Pavillon de l’Inde

L’Inde foisonne de projets et propose deux visions qui s’ancrent dans le souvenir de Chandigarh et de Le Corbusier. Tout d’abord avec le travail d’Anapuma Kundoo dont l’unité d’habitation présentée à l’échelle 1 ressemble à celle du Corbusier en plus ouverte. Son travail se déploie notamment à Auroville, ville expérimentale, fondée par la compagne de Sri Aurobindo, Mirra Alfassa. Il voulait en faire « le lieu d’une vie communautaire universelle, où hommes et femmes apprendraient à vivre en paix, dans une parfaite harmonie, au-delà de toutes croyances, opinions politiques et nationalités ». Espace de calme et de repos au cœur de la biennale, l’habitation proposée est réalisée avec les connaissances et ressources des habitants. La création et la construction de chaque bâtiment sont aussi la source de connaissances nouvelles pour la communauté. Parce que bâtir et habiter sont des expériences existentielles au fondement de la notion même de l’humain. Anapuma Kundoo fait de la construction une réflexion individuelle et collective, source de richesse pour la communauté.

En hommage à cette attention créative à la modernité de cultures qui en détournent les usages à leur profit, la biennale accueille des œuvres de Nek Chand. Inspecteur des routes sur le chantier de la ville de Chandigarh construite par Le Corbusier, autodidacte, il a créé Rock Garden en utilisant les techniques de construction apprises sur le chantier de la ville. Il y reconstitue son village natal agrémenté de centaines de figures réalisées avec des déchets et des matériaux de Chandigarh. Ce jardin-ville de sculptures est l’une des plus grandes œuvres d’art populaire (ou d’art brut selon les commentateurs) jamais réalisée.

Humanisme ou humanité

Si certains ont pu parler d’humanisme à propos du sens global de cette biennale, peut-être faut-il surtout parler d’humanité. A travers les projets présentés, l’architecture se rapproche de l’homme, l’accompagne, le soutient et s’enrichit en retour de cette présence humaine pour conserver toute son utilité et sa force de construction du présent et du futur.

 

http://www.labiennale.org/en/Home.html

Pascal Dreyer, coordinateur Leroy Merlin Source

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