Entretien avec Claire-Sophie Coeudevez, Médieco / Défis Bâtiment Santé 2017
Les Défis Bâtiment Santé de 2017 avaient pour thème La santé, moteur d’innovations du bâtiment. Ce colloque de référence a été initié par le docteur Suzanne Déoux. Elle est la présidente de l’association Bâtiment Santé Plus auquel Leroy Merlin apporte son soutien chaque année. À l’occasion de cette édition, nous avions exploré ce thème de l’innovation avec son associée au sein de Mediéco. Claire-Sophie Coeudevez, aussi correspondante Leroy Merlin Source.
Comment ont évolué les Défis Bâtiment Santé depuis leur origine ?
C’est l’association Bâtiment Plus qui a créé les Défis Bâtiment Santé en 2011. La première édition a eu lieu à Angers. A l’endroit où le docteur Suzanne Déoux a créé le Master Risques en santé dans l’environnement bâti. Il s’agissait de promouvoir cette thématique alors émergente auprès des professionnels. Mais aussi un nouveau métier d’ingénierie de santé du bâtiment et de l’aménagement urbain. Nous en sommes à la sixième édition de ce colloque aujourd’hui bisannuel.
L’objectif pour nous est d’être toujours en veille. On constate que la question de la qualité de l’air devient un sujet traité lors de nombreux événements. Or, la santé dans le bâtiment ne se borne pas à la qualité de l’air intérieur. Nous voulons porter l’attention sur la santé de manière plus large, d’où notre thématique plus globale cette année sur la santé comme facteur d’innovation dans le bâti. Et notre parti pris est d’apporter systématiquement des retours d’expériences aux participants. Nous touchons un public très large : la maîtrise d’ouvrage, tels que promoteurs immobiliers et les bailleurs sociaux qui vont construire ou rénover ; les responsables de bâtiments recevant du public aussi bien que ceux du logement privé, individuel ou collectif ; toute la chaîne de la conception, les architectes et bureaux d’études ; des professionnels de santé, des associations, notamment celles qui sont en lien avec les usagers, beaucoup d’universitaires et des industriels. Face à la thématique santé-environnement qui s’est imposée aujourd’hui, ces derniers ont besoin que leurs futurs produits soient pertinents, favorables à la santé. Cette diversité favorise de nombreux échanges entre professionnels d’expertises différentes.
Pourquoi insister sur l’innovation ?
Quand nous sommes sollicitées par des maîtres d’ouvrage convaincus de la nécessité d’être performants sur la qualité de l’air intérieur dans leurs projets, il arrive souvent que la maîtrise d’œuvre ait des réticences à intégrer cette dimension, car elle vécue comme une contrainte supplémentaire dans un secteur déjà très réglementé. Comme si santé et qualité de l’air relevait effectivement de la contrainte ! Certes c’est un élément supplémentaire à prendre en compte, mais faisons-en une opportunité, un moteur d’innovation. C’est vrai pour les industriels mais pas seulement. Par exemple, dans les Trophées Innovations Bâtiment Santé 2017, nous avons une thématique sur les démarches favorables à la santé : comment un maître d’ouvrage promeut le sujet ? Le lauréat est un bailleur social, Sarthe Habitat, qui a développé des outils de sensibilisation de tous ses collaborateurs et de tous ses locataires. C’est le personnel en agence qui mène ce travail auprès des habitants, avec une plaquette d’information dédiée. Par ailleurs, ce bailleur a revu tous ses contrats de maintenance en intégrant de nouvelles exigences. Toute la chaîne des acteurs, aussi bien la partie technique que les relations avec les locataires, est impliquée.
Lors des Défis, nous aurons une table-ronde consacrée aux nouveaux accompagnements. L’innovation n’est pas qu’une affaire de produits et de technologie, cela relève aussi des pratiques et usages des occupants de toutes les typologies de bâtiments. L’innovation doit encore se retrouver aujourd’hui dans les formations initiales et continues du monde du bâtiment. Nous sommes beaucoup intervenues dans les écoles d’architecture lors de l’émergence de la démarche de Haute Qualité Environnementale (HQE) et actuellement la formation se poursuit dans de nombreuses écoles d’ingénieurs.
Santé et bâtiment sont des domaines où règne l’expertise technique : comment peut-on en prendre en compte la culture et les savoirs des habitants ?
Cela vient doucement. Nous venons par exemple de remporter un projet avec l’agence de l’architecte Thierry Roche[2]. Nous y avons intégré ensemble la dimension santé : avec l’aide d’Urbagri, nous avons prévu un espace potager protégé par une serre sur une terrasse partagée avec une gestion et une animation sur le long terme pour assurer une bonne exploitation et une bonne maintenance ; par ailleurs un local commun est prévu, et sa vocation sera définie par un processus de concertation avec les habitants. Nous ne sommes pas là dans la santé au sens strictement médical, mais la santé n’est pas que physique, elle est aussi psychique et sociale ! On peut dire en schématisant qu’on sait comment traiter la santé physique aujourd’hui pour le que bâtiment ne rende pas ses occupants malades, mais que l’on commence tout juste à mieux prendre en compte la santé psychique et sociale : ou comment faire en sorte que le bâtiment favorise la cohésion et le bien-être des utilisateurs du bâtiment. Il est intéressant que le bâtiment suscite des interactions entre les gens.
Comment faire se rencontrer la culture technique des professionnels et la culture profane des habitants ?
Elles ne se rencontrent guère pour l’instant, et pourtant c’est nécessaire ! D’autant plus qu’aujourd’hui nombre de maîtres d’ouvrage et certaines équipes de maîtrise d’œuvre vont vers des logements de plus en plus complexes. C’est l’innovation, synonyme d’apports techniques, qui complexifie le bâtiment. Mais on ne s’est pas posé la question de savoir si les habitants sont prêts à accepter cette complexité, non seulement dans leur vie quotidienne mais aussi en matière d’exploitation et de maintenance. Et nous avons très peu d’études qui nous donnent des indications sur la manière dont tout cela est vécu par les occupants. Avant de développer des outils sophistiqués de mesure en continu de nombreux paramètres, via des capteurs, il est nécessaire de savoir lesquels de ces paramètres vont intéresser les occupants ou les habitants ; que faut-il prioriser ? Ne perdons pas de vue que les sujets de santé, comme la question des polluants qu’on respire, peuvent être anxiogènes ! L’Ademe a lancé des études sur le sujet, notamment une sur « micro capteurs et citoyens » pour évaluer la perception des utilisateurs du bâtiment. Nous aurons prochainement des retours d’expérience, pour innover… intelligemment !
Propos recueillis par Denis Bernadet
Mai 2017