Autonomie Vieillesse Coordination de chantier d’adaptation du logement des personnes âgées : nouveau métier ou nouveau rôle ?

Coordination de chantier d’adaptation du logement des personnes âgées : nouveau métier ou nouveau rôle ?

Entretien avec Pedro Mariano, Accès Simple


Entretien

Si le logement et son adaptation sont au cœur des débats sur le vieillissement, la réalité de l’aménagement du logement des personnes vieillissantes et âgées reste faible. Et s’il est souvent fait mention des réticences des personnes âgées elles-mêmes quant au changement – ce qui reste à démontrer – on questionne moins les enjeux de la coordination d’acteurs hétérogènes dont les modes de fonctionnement se heurtent et se contredisent. A partir de ces constats pratiques, Pedro Mariano a créé Accès Simple qui réunit autour du projet d’adaptation du logement d’une personne ayant des difficultés physiques ou psychiques les financeurs, les professionnels de l’adaptation du logement et les artisans. Accès Simple assure pour le compte de ces différents professionnels la coordination du projet et est l’interlocuteur unique de l’habitant. Nouveau métier ou nouveau rôle dans une société complexe ?

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Pourquoi avoir créé Accès Simple ?

L’association est née de plusieurs constats. Le premier concerne la façon dont les grands groupes (industriels, de service, etc.) utilisent les compétences des collaborateurs contre ces derniers et contre leurs clients. La dimension humaine s’efface en interne comme en externe. Cela ne manque pas de créer de multiples frustrations et d’attentes déçues de part et d’autre. J’ai éprouvé ces limites comme de nombreux autres cadres dirigeants ou salariés et je voulais retrouver une activité qui me mette en contact avec des personnes ayant de véritables besoins, qui leur rende un service véritable, les apaise et me procure de la satisfaction. Le second constat est lié au vieillissement démographique, au désir des personnes de rester chez elles le plus longtemps possible et à l’augmentation structurelle du prix des résidences pour personnes âgées. Il m’a semblé qu’il y avait dans cette situation nouvelle une activité à identifier pour répondre à un besoin collectif et à des attentes individuelles.

Quelle a été votre première analyse ? Pourquoi a-t-elle fait évoluer le projet de l’association ?

Nous pensions apporter dans un premier temps, et en priorité, un service aux personnes en situation de handicap. Mais cela reste pour le moment au second plan de notre activité du fait de la difficulté d’identifier les personnes à accompagner, au coeur d’une constellation d’acteurs institutionnels déjà présents. Nous le regrettons mais n’abandonnons surtout pas nos efforts pour trouver les bons chemins vers ces personnes qui se trouvent dans la plus grande nécessité (c’est un peu un appel aux volontés en la matière). En revanche, nous avons remarqué que les mêmes acteurs institutionnels éprouvaient également de grandes difficultés à mettre en oeuvre des plans d’aménagement pour le domicile des personnes âgées. On connaît la situation : un nombre toujours plus important de personnes vieillissantes, un nombre restreint de logements adaptés accessibles (aussi bien dans le parc locatif social que privé ou dans l’accès à la propriété) et donc des tensions. Ce que l’on sait moins, c’est la difficulté des institutions (conseils généraux, municipalités, centres communaux de l’action sociale, etc.) et des artisans à répondre aux besoins des usagers malgré les rapports
sur l’adaptation du logement des personnes âgées et les politiques publiques déclarées.

Quels sont vos constats ?

Il y a une profonde inadéquation, finalement assez peu soulignée, entre la problématique d’adaptation du logement et la structuration du mode de mise en oeuvre. Pour réussir un chantier, dont une bonne part dépend de décisions et d’engagements institutionnels, il faut réunir autant de conditions auxquelles un artisan ne peut pas faire face : accepter d’être payé avec un délai, prendre du temps pour s’associer et se coordonner avec d’autres, être en mesure de créer un panier assez élevé pour que l’opération soit rentable, etc. image1
Par ailleurs, l’artisan doit avoir les compétences et savoirs pour réussir ce chantier spécifique et on sait que la plupart d’entre eux ne sont pas encore formés ou même sensibilisés. Évidemment, c’est la même chose que pour tout un chacun mais l’attention et la pertinence nécessaires sont encore plus grandes lorsqu’il s’agit de personnes âgées, handicapées, fragiles, et pour qui l’environnement peut être autant un piège qu’une chance. Au fond, s’il fallait résumer de manière sèche, je dirai que le « marché » de l’adaptation du logement des personnes en perte d’autonomie ne correspond pas (encore) au type d’activité recherchée par les artisans. Nous avons constaté que la volonté d’agréger des volontés individuelles autour d’une personne et de son projet n’existe pas. Et ni les artisans ni les institutions évoquées plus haut ne s’intéressent ou ne peuvent s’intéresser à ce « marché » en tant que maître d’oeuvre. C’est pourtant là la clé de la réussite et de l’efficacité sociale de ces aménagements à court et moyen terme. Avec Accès Simple, ce qui change pour l’artisan c’est une offre de journées bien payées, balisées, sans qu’il ait à faire l’avance de l’argent du chantier. Et pour les institutions la création de solutions concrètes adaptées à leurs stratégies, à leurs modes de financement et à leur contexte local.

Vous évoquez souvent l’intermédiation entre artisans sur un même chantier.

Cette intermédiation revêt plusieurs formes. Il y a tout d’abord l’intermédiation entre les artisans formés aux règles de l’accessibilité et la demande à satisfaire dans le cadre des contraintes et des usages propres à une personne. Les uns comme les autres ne se connaissent pas et il n’existe pas de base ou de répertoire permettant de rapprocher l’offre de services adaptés avec la demande. Ensuite, l’intermédiation concerne la coordination (chroniquement inexistante) des corps de métiers qui interviennent de manière préférentielle dans une salle de bains ou une cuisine : plombier, plaquiste, carreleurs, peintre. Cette coordination concerne les plannings d’intervention qui doivent être les plus efficaces possibles pour l’artisan et les moins invasifs pour la personne. Il y a enfin la question primordiale et potentiellement rédhibitoire de la coordination entre des dépôts de dossiers, leur délai d’instruction, les règlements (ceux versés par les institutions et celui versé par la personne) avec les débuts et fins de travaux. Un artisan seul, même armé de la meilleure volonté du monde, ne peut pas créer le modèle d’organisation et de marché qui lui permettra d’affronter ces différentes étapes du projet et d’entretenir le réseau des prescripteurs (donneurs d’ordre et financeurs). C’est impossible pour l’artisan mais c’est tout aussi impossible pour le « gros faiseur » qui va vouloir mettre en place une solution industrielle qui ne tiendra compte ni des réalités territoriales et des prescripteurs, ni des situations spécifiques de chaque client.

Face au constat du feuilletage décisionnaire et administratif concernant l’adaptation du logement, quelle est la réponse d’Accès Simple ?

Si l’on veut construire un modèle qui évite les pièges de l’industrialisation et de la standardisation de la réponse et qui puisse répondre au plus grand nombre, il faut définir un modèle d’activité simple, pérenne, duplicable et dont l’objectif est de rester au service des personnes ayant une difficulté physique ou psychique et souhaitant rester chez elles. Par rapport à un monde de besoins, à la fois collectifs et personnels, les principes à appliquer sont : la subsidiarité, la création d’interlocuteurs fiables et en petit nombre, l’agrégation de volontés et de savoirs professionnels et techniques disparates, la mise en place d’une coordination générale. Cela permet d’aboutir à ce qui est vraiment discriminant entre « le avant » et « le après » pour la personne : des travaux d’adaptation effectivement réalisés, conformes au dossier d’expertise du logement et aux préconisations techniques amont. La réponse, à l’échelle territoriale qui est actuellement la nôtre (départements du Rhône, de l’Isère, de la Savoie et Haute Savoie) est celle de la proximité autant pour les institutions que pour les artisans et bien sûr le « client ». A chacun de ces types d’interlocuteurs,
Accès Simple assure tout à la fois le suivi du projet, depuis la décision et l’instruction et la réalisation travaux, jusqu’au retour vers les institutions.

Tout au long de cet entretien, nous avons évoqué l’intermédiation, la coordination et finalement les enjeux de la coopération entre les acteurs au service d’un client final qui n’est souvent le financeur des travaux qu’en partie. Le positionnement d’Accès Simple correspond-t-il à une nouvelle fonction ou à un nouveau métier ?

image2Est-ce un nouveau métier ou une nouvelle fonction dans un assemblage complexe ? C’est encore un peu difficile à dire. Mais si je devais définir cette coordination/accompagnement des acteurs sous la forme d’un métier, je penserai ce dernier sur trois registres : relationnel, technique et manuel. Et donc comme un métier de manager de projets. Le plus simple sera de prendre un exemple.
Nous accompagnons une communauté de communes du Rhône dans la mise en oeuvre de son plan d’adaptation de logements pour les personnes âgées. Pour cet acteur institutionnel, nous avons construit la solution technique qu’il souhaitait mettre en place pour améliorer et amplifier le service rendu à ses administrés car il n’y parvenait pas. Nous avons d’abord livré un concept, puis nous l’avons testé, nous situant à cette étape comme partenaire associatif. Dans la phase de déploiement, nous sommes « redevenus » coordinateurs de prestations et nous intervenons auprès des administrés ayant un besoin d’adaptation et identifiés par les équipes des centres communaux de l’action sociale de cette agglomération de communes.
Du côté des artisans, nous les sollicitons directement en privilégiant ceux labellisés Handibat (c’est-à-dire ayant suivi la formation Handibat de la Capeb, actuellement en développement). Nous leur proposons d’intervenir sur des journées de travail, établies avec eux. Notre objectif est à la fois de les fidéliser, de soutenir l’acquisition d’une expérience qui leur fait encore trop souvent défaut et de les professionnaliser sur les produits, les matériaux et la grande variété des situations des personnes. Dans l’idéal, à terme, nous souhaiterions pouvoir salarier les plus experts d’entre eux.
Du côté d’Accès Simple, nous travaillons en relais des ergothérapeutes qui construisent l’analyse de la situation, identifient avec la personne les besoins et établissent des préconisations. Notre coordination permet de définir le plan des travaux à la fois pour les artisans et pour la personne et de faire en sorte qu’ils aient réellement lieu ! Cette coordination simplifie le contexte des travaux pour les bénéficiaires et pour les institutions et elle rationnalise le travail des artisans qui craignent des aller-retour sur des chantiers qui n’en finissent pas… faute justement de coordination. Mais on pourrait utiliser un autre mot pour décrire ce qui est mis en oeuvre ici : il s’agit de la confiance.

Pourquoi ce terme de confiance pour décrire le cœur de votre action ?

Parce que rentrer chez les personnes pour modifier leur environnement (en relation avec leur perte d’autonomie de surcroît), même avec leur accord, suppose d’avoir obtenu leur confiance. Cette dernière dépend autant de vos savoir-faire professionnels que de votre savoir-être relationnel. Le contrat de confiance passé entre Accès Simple et la personne induit que les travaux réalisés seront conformes à ses besoins (la personne est donc bien au coeur du dispositif), pour un dérangement minimum et avec le respect des rendez-vous fixés pour les différentes interventions. On sait bien que le fonctionnement de l’artisan ne s’inscrit jamais dans celui de son client. Le premier essaye d’optimiser son temps et le second l’attend ! La personne chez qui les travaux sont réalisés n’a qu’un seul interlocuteur : le coordinateur Accès Simple. Elle connaît le planning des interventions et le délai est souvent serré.
Mais le terme confiance concerne aussi les institutions qui contribuent à l’adaptation du logement. J’ai été très surpris de constater que très souvent les praticiens (ergothérapeutes, assistantes sociales…) qui orientent les personnes ne savent pas si les travaux ont été réalisés in fine. L’accord de financement vaut pour réalisation. Or ce n’est pas le cas. Accès Simple s’engage sur le retour d’information auprès des prescripteurs lorsque les travaux sont réalisés sous la forme d’un petit dossier et de photographies adressées par mail. Les professionnels du social et du médico-social avec qui nous travaillons apprécient vraiment ce retour qui leur permet de clore les dossiers sur des réalisations concrétisant le sens de leur action. Cela leur permet aussi de relancer certains dossiers « oubliés ». Je pense que la force de notre modèle est de remettre de l’attention dans ce qui est décidé et fait. Au service des personnes fragiles et vulnérables qui veulent continuer à vivre chez elles.

Trois mois entre le démarrage du dossier et la fin des travaux
Les photographies qui illustrent cet entretien ont été prises à l’occasion de travaux réalisés au domicile d’une personne
âgée de 85 ans, se déplaçant en fauteuil à l’intérieur et à l’extérieur de chez elle (en milieu rural). L’objectif des travaux était de créer une salle de bains adaptée dans une construction traditionnelle. L’équipe d’
Accès Simple a disposé d’une surface exceptionnelle à transformer : une vaste chambre. Cette dernière a pu être équipée d’un ensemble sanitaire totalement adapté aux besoins de la personne : lavabo avec siphon déporté, douche à siphon de sol, sols souples antidérapants, WC rehaussé, etc. La personne et ses proches se trouvaient en situation d’urgence mais en capacité de financer le reste à charge.

Ils ont bénéficié d’une aide financière substantielle de l’Anah rapidement versée (moins de trois mois). Les travaux ont ainsi pu démarrer dès le début de l’instruction. Le dossier et le chantier ont été bouclés en trois mois entre la première visite, les procédures administratives et la fin des travaux.

Photographies de l’entretien : © P.Mariano / Accès Simple

Propos recueillis par Pascal Dreyer

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